Que lisez-vous en ce moment ?

Pierre,

Pour ce qui concerne Les particules élémentaires et Extension du domaine de la lutte nous pourrions nous rejoindre à quelques nuances près. On trouve en effet chez cet auteur une prise en compte du monde "tel qu'il est" et une distance ironique qui n'est pas sans intérêt.

Je crois que je dois aussi me méfier de la disproportion entre le piédestal sur lequel est installé cet auteur et ma lecture. Il y a eu un délire médiatique qui a fait de Houellebecq l'auteur phare de notre époque dans un parallélisme évident avec des anglo-saxons du genre de Bret Easton Ellis. Je précise que contrairement à un reproche qui m'est fait de temps à autre, je n'ai aucune réserve face aux auteurs célèbres. J'aime beaucoup des gens très connus comme Kundera, Philip Roth, Coetzee, Vila Matas etc. Ce qui m'agace ce sont les réputations gonflées, exagérées, artificielles, d'auteurs parfois moyens ( aucun exemple ne me vient à l'esprit!) voire illisibles comme  cette célèbre et très médiatisée romancière française spécialiste des relations incestueuses...

Les premières pages lues de La carte et le territoire, une bonne cinquantaine, témoignent d'une certaine complaisance mais surtout d'un style que je trouve assez facile.
Ce dernier point, celui du style, est pour moi sensible et délicat puisque mon écriture est parfois considérée comme "facile" "plate" "sans art", même si, à juste titre, personne ne la compare à celle de Houellebecq.  

Une lectrice de ce forum concluait la lecture d'Un Garçon en ville par : "un roman qui se lit trop vite,  il mériterais une écriture plus élaborée, plus affinée" alors que Pol Vandromme* écrivait du même roman : " Le tout restitué par une langue à la force orageuse, sèche, tranchante, d'une précision quasi clinique" Preuve que certaines écritures, comme posées sur une ligne de crête, divisent plus que d'autres.


* Je ne considère pas ici que le prestige de Pol Vandromme doive nécessairement effacer l'avis de cette lectrice "lambda", c'est simplement un exemple de divergence.

J'ai donc lu La carte et le territoire de Houellebecq. Que dire d'autre que la formule célèbre : "ni cet excès d'honneur ni cette indignité"

Des trouvailles, un ton d'une insolence parfois tonique parfois trop facile et d'autre fois plutôt lourde. Une tendance à jouer des patronymes célèbres avec une prédilection pour le gens de télé. Pas mal de ruse et procédés mais après tout encore faut-il en être capable.

Dans l'ensemble un divertissement pour ceux qui n'en attendent rien d'autre et sont "bon public". Un grand livre? Non ! Pas de mon point de vue d'autant que l'écriture n'est en rien remarquable.

Finalement, il n est pas si usurpé que ça qu'il ait très vite trouvé des lecteurs. Bien entendu, avec le foin que les médias qui s'emparent de tout et n'importe quoi (à tort ou à raison - mais quand c'est à raison, c'est souvent pour devenir à tort) en avaient fait, on s'est un peu demandé si c'était vraiment justifié. Personne n'a vraiment crié au génie, mais il faut reconnaître qu'il a parfois (trop rarement?) une certaine acuité dans sa vision de l'humanité. Tonique est vraiment un mot qui fonctionne bien pour Houellebecq. Pour son écriture (l'homme pas tellement)

Question à Jean-Pierre: vous vous souvenez sans doute qu'à la sortie de ce livre, on avait parlé de 2 ou 3 passages recopiés presque mot pour mot dans Wikipédia, notamment un passage sur la mouche je crois. L'auteur ne s'en était pas ému. Pourquoi d'ailleurs? On a parlé de collages pas bien méchants. Certes. Cela colle aussi à son style ou au style de certains passages qui se veulent comme des digressions ou introductions au ton encyclopédique (je parle en tout cas des 2 livres que j avais lus) Ma question va à l écrivain et lecteur (pour éditions) que vous êtes: en êtes vous à condamner ce genre de procédé? Ou vous laissent-ils indifférent?

Il est tellement évident à la lecture que ces passages sont des copier/coller que lui en faire procès était d'une grande mauvaise foi.

Mon point de vue d'écrivain ? Tout est possible qui n'est pas imposture !

Après l'avoir découvert dans Bibliothèque Médicis, une des rares émissions culturelles de qualité, je lis Javier Cercas,  A la vitesse de la lumière.

Un vrai roman comme je les aime, c'est-à-dire ni auto-fiction ( auto congratulation?) ni laboratoire de (fausses) idées stylistiques, mais une narration qui sait nous emporter avec sensibilité et intelligence.

Une seule restriction : encore un personnage de romancier ! Chers collègues écrivains, n'existe-t-il pas d'autres professions intéressantes ?

Jean-Pierre Poccioni a écrit:

Une seule restriction : encore un personnage de romancier ! Chers collègues écrivains, n'existe-t-il pas d'autres professions intéressantes ?

Oui ! Les photographes !!!

Merci pour le compte rendu.

Pour que la comparaison soit exacte, il faudrait imaginer un photographe photographiant un photographe ou bien se photographiant en action. Les deux existent  mais pas aussi fréquemment que les écrivains mettant en scène des écrivains.

Je précise: rien d'interdit, mais simplement un peu trop vu!

Il est vrai qu ils ne sont pas rares les écrivains qui nous parlent de l existence d'un autre écrivain. Du moins, c est une impression car je n'ai pas une multitude d'exemples en tête. Certains le font bien, d autres non. Sans doute comme pour tous les sujets. Ce qui peut devenir intéressant, est de savoir combien de leur propre existence d'écrivain ont-ils logé dans leur personnage? Ou bien, l'ont-ils façonné à l'extrême opposé de ce qu'ils sont (ou pensent être)?
Je ne connais pas Javier Cercas. Jamais entendu parler.

De mon côté, je termine un recueil de nouvelles de Sam Shepard Balades au paradis qui dans un premier temps relate quelques épisodes de son enfance, de sa jeunesse passée dans le sud des États-Unis. Beaucoup d'histoires de motels visités en famille, de chevaux dressés ou à dresser, de poussière des grandes étendues à ciel ouvert, et des Américains à toutes les sauces. Le dernier tiers offre quelques textes qui font référence au tournage du film Homo faber de Volker Schlondorff, dans lequel il tenait le rôle principal. Le film, mais surtout le livre du Suisse Max Frisch, est une franche réussite. Rares sont les bonnes adaptations de romans, mais Schlondorff est un des rares à souvent y parvenir (Le tambour,Le désarroi de l'élève Törless,Le coup de grâce,Le roi des aulnes(moyen)...)
Je suis venu à Sam Shepard il y a 2 ans (avec un autre recueil A mi-chemin) en me rappelant qu il avait co-écrit le scénario pour Paris-Texas, de Wenders. Il y a dans certains de ses textes, ce même minimalisme de l'action, un certains dénuement de l'humain face à des situations diverses, parfois banales ou étranges.
Il me semble assez rare que de bons acteurs (à définir comme toujours) sachent aussi bien écrire. Shepard n est ni mon modèle d'acteur, ni un écrivain prodigieux, mais il n'usurpe pas ces deux costumes.

PS: au festival du film de Berlin (berlinale), on a présenté un film "l enlèvement de Michel Houellebecq". Quand l écrivain devient acteur... Je ne l ai pas vu. On le dit divertissant (!?)

Je ne connais pas la littérature de Sam Shepard mais par contre les réalisations de Wenders m'intéressent beaucoup au point qu'un de ses films "courts" est au coeur de mon prochain roman à paraître ( c'est un scoop ! )

Quant à Max Frisch  c'est un auteur remarquable et je garde un fort souvenir de Montauk et Homo Faber.

Je reparlerai de Javier Cercas quand j'aurai lu son dernier roman: La loi des frontières.

Cela me rend encore un peu plus curieux de lire ce roman quand il paraîtra.
Shepard avait aussi écrit le scénario de Don't come knocking, toujours de Wenders, cet acteur de western usé par la profession, qu il avait joué lui- même. On revient un peu à l'écrivain écrivant sur un écrivain, ici, l acteur jouant un acteur - certainement une prédilection de Wenders, le tournage du film dans le film...
De quel court parlez-vous? Si vous voulez nous le dévoiler...

Je lis avec intérêt ( le sujet et le ton me font éviter le mot "plaisir") la nouvelle traduction par Laurence Courtois du chef d'oeuvre de Hans Fallada : Seul dans Berlin.

Un des rares romans qui met en scène la résistance allemande au nazisme et ce de façon magistrale.

Bonsoir (bonjour)
effectivement Jean-Pierre, très bon livre. J'ai lu Seul dans Berlin il y a 4 ans. Ce n'était bien évidemment pas la traduction que vous lisez à présent mais la précédente (chez Folio). Je suis d'abord agréablement surpris qu'on lui accorde une nouvelle traduction. Je me demande ce qu'elle apporte de plus. Le style de Fallada est fluide, sans fioritures mais pourtant précis. Auteur trop méconnu en France, un peu délaissé en Allemagne même si on lui reconnaît des qualités.
Ce livre est un récit puissant de ce qu'a pu être un fragment d'existence dans le Berlin du troisième Reich. La résistance au nazisme quand on est allemand a sans aucun doute une autre portée. L'opposition dans un monde de traîtrise, de dénonciations, de vilénie, au coeur d'une société mesquine, sûre de sa race, dévouée à son guide.
Il faut conseiller la lecture de ce livre.

De mon côté, je commence Histoire d'une vie - Le Flambeau dans l'oreille de Elias Canetti. C'est le deuxième tome des mémoires de Canetti. J'avais lu avec beaucoup d'intérêt le premier (Histoire d'une jeunesse - La langue sauvée), il y a déjà une quinzaine d'années (diantre!). J'en parlerai peut-être quand je l'aurai fini. Voilà encore un auteur qui me fascine, son existence, son destin, son livre Auto-da-fé.

Auto-da-fé est pour moi aussi un de ces très grands romans qui dominent de leur ampleur exceptionnelle toute une époque.

Pour revenir à  Fallada, il n'est pas certain que la nouvelle traduction change beaucoup la perception du style lui-même. Par contre, c'est une version intégrale non expurgée des passages qui au moment de sa première édition avait touché le livre. Il semble qu'on avait cherché à accentuer le manichéisme d'un texte plus gris que noir et blanc, en gommant par exemple le passage au parti nazi de certains personnages. Il fut un temps où il était impensable qu'un opposant à Hitler ait été membre du parti nazi.

Bref, il n'y a pas que notre époque à être polluée par le politiquement correct et la conformité aux idées reçues !

Au passage j'aime beaucoup le style de Fallada, tel qu'il me parvient, "sans fioritures mais pourtant précis" comme vous dites très justement ce à quoi j'ajoute qu'il est beaucoup plus subtil et élaboré qu'il ne paraît à certains,  habitués aux effets grossiers ( Lire Réparer les vivants actuellement encensé par la critique !)

Je conseille aux lecteurs curieux, voire avides d'originalité, la lecture du dernier recueil de nouvelles de Fabrice Pataut : Le Cas Perenfeld

Une suite de textes surprenants parfois aux limites du réel ordinaire sans qu'on puisse pour autant parler de fantastique. Une exploration de ce que la littérature peut produire quand elle laisse la parole aux véritables talents.

J'ajoute pour les amateurs une série de courtes énigmes, courtes mais denses,  qui rappellent que l'auteur est un spécialiste de la...logique !

Je terminais il y a une dizaine de jours Histoire d’une vie  -  le Flambeau dans l’oreille d’Elias Canetti, la deuxième partie de son autobiographie (première partie : Histoire d’une jeunesse – la langue sauvée), que j'avais déjà évoqué. On lit sur les jeunes années de Canetti : l’inflation entre 1921 et 1924 vécue à Francfort, ses années viennoises, ses séjours berlinois. Le livre est surtout l’occasion de retracer diverses rencontres et changements : sa rencontre avec Veza (sa future épouse) mâtinée de discussions littéraires ; la révélation qu’il a en assistant aux conférences/lectures de Karl Krauss (un auteur dont j’aimerais creuser l'oeuvre à l’avenir), et son questionnement né de ses années viennoises et zurichoises sur la masse (après le 15 juillet 1927, assistant à un véritable massacre perpétré par la police et milice viennoise, il affinera ses pensées sur ce qui meut la masse). Cette jeunesse semble être aussi vécu sous le signe des mensonges à sa famille qui le croit fermement embarqué dans des études de chimie. Il achèvera certes un doctorat mais à maintes reprises il répètera qu’il n’en a cure et que ces études de chimie l’ennuient profondément, lui qui est épris de littérature, de philosophie et de la pensée.
Au cours de différents récits, pas nécessairement liés les uns avec les autres, Canetti insiste sur le côté sonore de ces années : la voix de Karl Krauss, le bruit de la foule, il parle de nourriture sonore. Des voix, des bruits qui l’accompagnent, celle qui ne le lâchent plus, le possèdent.
Ses séjours berlinois, ils les résument aux rencontres qu’il y fait. En vrac : Bertolt Brecht, qu’il ne porte pas dans son cœur, tant le dramaturge (débutant à cette époque) est imbus de sa personne, arriviste et ne l’intéressent que ceux qui peuvent lui servir à gagner de l’argent et accéder à une notoriété littéraire (l’exemple du poème écrit pour la marque de voiture Steyr, en échange d’une automobile, lui qui adorait les voitures); le peintre George Grosz qui lui remettra, sans même le connaître depuis quelques heures, sa série « Ecce Homo » (Canetti n’en revient pas) ; le Russe Isaak Babel ; les frères Herzfeld (Wieland et Helmut – déjà rebaptisé John Heartfield, grand dadaïste et photomonteur). Canetti n’est encore rien à cette époque et paraît toujours comme spectateur éberlué de ces rassemblements d’artistes dans le Berlin des années folles.
La dernière partie intitulée « Le fruit du feu » éclaire un peu la genèse de son livre Auto-da-fé, peut-être aussi celle de son essai Masse et puissance qu'il me faudra lire un jour, moi qui ne suis guère friand d'essais.
Un livre intéressant sans doute surtout les amateurs de Canetti ou les germanistes de tous bords.

Sinon, je viens de commencer La route de Cormac Mac Carthy. Récit efficace, prenant, noir - comme je crois la plupart de ses textes. N'ayant lu que L'obscurité du dehors, difficile de vraiment l'affirmer -, entrelardé de dialogues économes entre le père et le fils qui ne sont préoccupés que de survivre. On sait juste qu'ils vont vers le sud dans un paysage post-apocalypse dont on n'apprend rien (c'est une force, je trouve, de laisser ces aléas en suspens).
Il me semble que toutes les adaptations des romans de Mac Carthy ont fait de lui un auteur beaucoup lu. J'ai été moi-même attentif à cet auteur après le film "The road" de John Hillcoat (qui a su réaliser de bons westerns) à moins que ce ne soit "No country for old men" des frères Cohen, il faudrait vérifier les dates de sortie.
On devrait lire avant de voir le film, ou ne jamais voir l'adaptation si le livre est très bon. Ici, je n'affirmerai pas que le livre est très bon, mais j'aime ces ambiances et Mac Carthy les maîtrise. L'impression d'une survie comme un combat est décuplée dans l'écrit selon moi.

Intéressantes considérations autour du très grand écrivain qu'est Canetti...

La Route est un roman pour lequel mon intérêt n'a pas dépassé le premier tiers ( c'est approximatif). Pourtant le départ ne manque effectivement ni de caractère ni de densité mais ensuite j'ai eu l'impression d'une quête aléatoire comme si l'auteur ne savait plus que faire du récit qu'il avait lancé.

Beaucoup de lectures peu convaincantes ces temps derniers mais il faut bien explorer pour dénicher des perles et puis j'ai encore à l'esprit le formidable Seul dans Berlin de Fallada! Lire un livre de ce niveau chaque mois ferait de moi le plus heureux des lecteurs !

La semaine dernière, j'ai lu La mort est mon métier de Robert Merle. Je devrais dire enfin lu. Beaucoup l'ont lu, et comme Jipi l'écrivait lorsque j'avais évoqué un autre livre de Merle, les profs de français en ont souvent fait une lecture scolaire. Ce livre qui retrace la destinée du commandant de camp de concentration d’Auschwitz, Rudolf Höss (nommé Rudolf Lang dans le roman) brille surtout sur par sa capacité à retranscrire le terrible sentiment du devoir à accomplir, de l’obéissance aux ordres, celui de l’utilité à servir le Reich qui permettent à Lang (Höss) d’accomplir avec un réalisme glaçant cette tâche sans le moindre cas de conscience. Merle part de l’enfance de son personnage, élevé en Bavière dans une famille catholique et « dressé » par un père psychorigide, son passage par les Corps Francs de la Baltique, sa désillusion pendant les années de crise de la République de Weimar et insiste sur son besoin de se sentir utile, efficace, sur sa capacité à mener une tâche à bien dès lors qu’elle découle d’un ordre. J'ai trouvé cette "préparation" à l'horreur absolue est à la fois nécessaire et très bien mené. Merle tient ces détails d’entretiens qui ont eut lieu avant l’exécution de Höss (1947). Avec ce livre, paru en 1952, on est au cœur de la machinerie de mort que Himmler avait mis en place pour diriger la solution finale. Il est bien entendu difficile de séparer la fiction de la réalité, bien que la fiction ne doit permettre d'introduire que quelques éléments de dramaturgie ou de caractère que Merle a pu déduire de l'étude de ces entretiens. Je ne peux imaginer que l'auteur se soit permis un grand nombre de fantaisies.
Je trouve néanmoins que cette lecture en classe (2nde? 1ère?) doit être assez difficile, quand on connaît l'immaturité ambiante qu'il règne dans ces niveaux. Je serais curieux de savoir quels axes de lecture avaient été envisagés, quels retours les élèves ont-ils pu en donner.

Je lis en ce moment Un meurtre que tout le monde commet de Heimito von Doderer. Roman d'apprentissage. Je dois penser à Flaubert avec son "Education sentimentale" même si l'initiation se fait ici selon bien d'autres plans, l'écriture en est aussi différente, l'époque, etc. Le style de Doderer que je connais d'une autre lecture est excellent, très précis quand il doit l'être et aussi imagé. Je me souviens que Jean-Pierre Poccioni aime cet auteur. L'avez-vous lu? Ce roman semble mêler le développement initiatique d'un jeune garçon à une intrigue policière (dans laquelle je ne suis pas encore entré après un gros tiers du livre). "Proust revisité par Simenon..." a écrit en substance G-A Goldschmidt sur la quatrième de couverture. Certaines anecdotes de l'enfance ont parfois un petit quelque chose de soporifique, mais sorti de l'enfance, la lecture en devient plus attirante.
Si cet auteur autrichien n'est pas connu en France, il l'est encore moins je crois en Allemagne ; les auteurs ayant un passé controversé (engagement au parti nazi, assez vite renié certes) sont tout bonnement ignorés, évités, quelle que fût leur valeur littéraire.

Tu as lu un remarquable roman Pierre. Je le faisais en effet parfois lire en dernière année. Les étudiants avaient en moyenne 18 ans. Beaucoup l'ont apprécié. Je pense qu'il faut avoir lu LA MORT EST MON MÉTIER. Quant aux axes utilisés ils étaient divers : le plan historique, le rapport bourreau/victime, la construction du roman, etc...

Par rapport à ce roman de Merle, bien d'accord avec toi. Il faut le lire un jour. Mieux, il faut l'avoir lu un jour.

Sinon, j'ai lu y a quelques temps Le Maître du Jugement dernier (1923) de Leo Perutz. Récit enchâssé d’évènements tournant autour d’une série de suicides mystérieux. Les protagonistes vont tenter de percer l’énigme de ces suicides. Leurs recherches déboucheront sur un vieux livre datant de la Renaissance, dans lequel une recette de drogue puissante qui fait apparaître à celui qui la fume des visions apocalyptiques face à quoi le seul recours, la seule fuite paraît être le suicide. C’est une nouvelle plus qu’un roman. Une longue nouvelle fantastique, extraordinaire pour Poe ou Maupassant et qui mêle aussi l’élément mystique, la présence d’un Enfer, classique comme chez E.T.A Hoffmann, ou dans le Peter Schlemihl d’Adalbert von Chamisso (une nouvelle tellement brève et tellement bon marché qu’on ne peut que l’acquérir – et la lire (100 pages, 1,50€, libretti, Le livre de poche), ou le Faust de Goethe, et bien d’autres. Vers la fin du livre, le passage des visions d’horreur du personnage principal qui veut tenter cette expérience extrême, est oppressant. Ces visions étant propres à chacun, chaque personne usant de cette potion, fait face son propre Jugement dernier, produit d’un subconscient qu’a nourri l’existence, enfantement de nos peurs les plus secrètes ou inavouées. C’est une lecture prenante. Comme dans un autre roman lu il y a quelques mois, Le tour du cadran, Perutz se montre très habile. Habile d’abord à créer une atmosphère (ce que savent certainement beaucoup d’autres), à camper les personnages en les réunissant pour un quartet musical chacun à un instrument et à vite faire prendre aux évènements une tournure dramatique ; le lecteur se retrouve rapidement embarqué dans la quête de la solution. Trouvé une quête au lecteur, le tenir, c’est quelque chose qui est une aubaine pour un écrivain, peut-être un talent. Toute l’histoire se déroule sans intervention de la police, d’une quelconque figure de commissaire et c’est aussi ce qui le rapproche des nouvelles fantastiques plus que d’un polar, genre avec lequel j'ai un peu de mal. Quelques longueurs aussi dans la description du livre et de l’histoire qui l’entoure. Depuis, j’ai l’impression qu’on a soupé au cinéma et dans la littérature de ces intrigues ayant leur dénouement piochant dans le fantastique et le mystique moyenâgeux et médiéval. Cela peut être bien mené, comme ici – on ne nage pas dans les clichés –, ou souvent en manque d’inventivité. L’apparition de la drogue entraînant tous les suicides est un peu convenue, ou faible, il faudra juste replacer ce texte, écrit en 1923. Aujourd’hui, ce serait littérairement sans doute un peu éculé.
Quelle peur pourrait vous pousser au suicide ? Quelles visions ? (question rhétorique, mais si le cœur vous en dit, dévoilez-vous.)

Je lis pour le moment Trois contes allemands de Luba Jurgenson. 3 histoires distinctes, dont je n’ai lu que la première, mais qui sont rassemblées sous l’appellation de roman. J'ai un peu de mal à me motiver à la lecture. Un mal du siècle (début 20ème) habite une jeune femme qui commet l'irréparable en quittant son morne mari pour le cousin militaire. Je ne sais pas de quoi seront faits les deux autres récits, mais il m’en faudra un peu plus pour relire cet auteur - une prof de la Sorbonne un peu intello si j'en juge par quelques vidéos/articles que j’ai pu voir/lire sur elle.

Toujours heureux de vous lire, Pierre.  

Intéressante présentation de Le Maître du Jugement dernier roman de Léo Perutz ( un auteur toujours original) qui me remet en mémoire un court et très singulier roman du même : Le Judas de Léonard où l'on suit la quête de Léonard ( Da Vinci ) cherchant un modèle pour un Judas, livre qui par écho me fait songer à La Course à l'abîme biographie romancée ( un genre que je goûte peu, mais j'adore Le Caravage) où Dominique Fernandez nous montre les recherches du peintre en matière de modèles.

J'adore que la littérature se fasse jeu d'échos et réminiscences constituant ce qu'est au sens le plus noble et le moins snob une culture.  

Assez d'accord pour ce qui concerne Trois contes Allemands mais j'ai toujours un intérêt spécial et peut-être une certaine indulgence pour les textes publiés dans "ma maison d'édition" ce qui est aussi le cas ( toute chronologie mise à part, pour Perutz dont certains textes ont été publiés chez Phébus)

Merci de ces autres références. Nul doute que je relirai Perutz. Pourquoi pas le judas.... Par contre Jurgenson, n aura pas ces faveurs...

Je lis avec pas mal de plaisir Vagabonds du Norvégien Knut Hamsun. Les péripéties de deux amis dans les îles Lofoten en Norvège. Ou comment ils font face à une existence qui ne devrait leur tracer qu'un but unique: être pêcheur de harengs. Au lieu de ça, ils se décident de bourlinguer chacun de leur côté, tantôt faisant fortune, tantôt dépossédés de tout et devant repartir à zéro. Les deux personnages sont attachants, peu ou mal acceptés par le reste de la société pour leur vie en marge, ils trouvent toujours des combines pour s en sortir, et peu à peu sont appréciés des différents villages où ils commercent.
Knut Hamsun (prix Nobel de littérature dans les années 20) a mené une existence de vagabond lui-aussi, et si on ne veut pas se taper les 500 pages de ce livre, on peut toujours lire Faim qui est bien plus court et certainement plus fort encore, retraçant la survie d'un vagabond qui lutte contre la faim, repoussant toujours à l'extrême le moment de se sustenter. Une écriture vive.

Je termine Voyage atlantique de Ernst Jünger. Recueil de 5 textes sur des destinations différentes (Grèce, côte dalmate, Norvège), des voyages effectués dans les années 30. Le plus long texte est éponyme et décrit ce voyage de Hambourg au Brésil en passant par les Açores, le Cap-vert. L'écrivain voyageur se complaît parfois dans la description de plantes et insectes, il faut le savoir quand on entreprend de lire un de ses récits de voyage. On trouvera toujours trace de sa passion pour l'entomologie, pour le monde végétal - on peut aussi en ressentir une sorte d'overdose. Décrire le pays, c'est aussi décrire l'homme dans son élément, le travailleur dans son occupation, et l'auteur a un regard aiguisé sur ce qui l'entoure, couplé à une faculté érudite de mettre en rapport l'histoire, la culture, les mythologies, les littératures pour rendre plus palpable l'objet de sa description.
Le style de Jünger ne plaît pas toujours. Il est savant et presque parfois scientifique, il est précis, riche et académique. C'est un auteur que je ne me lasse jamais de lire (et dont l'œuvre est sans fin) car il fut curieux de tout. Et en 102 ans d'existence, on peut s'imaginer à quel point cette curiosité a été prolifique.
Pour revenir à Voyage atlantique, qu'il rédige fin 1936, il y a ce dernier petit paragraphe qui sans accuser directement le régime qui s'est mis en place dans son pays, le désigne sans aucun doute :

"Ce soir, départ pour Leisnig et Überlingen sur le Bodensee. Puisse-t-il m'être accordé de passer sur ces rives ensoleillées des jours, des années peut-être, libre, serein, actif - malgré toute la basse vilénie qui nous entoure."

De retour de la Drôme, je me suis plongé dans Everything is illuminated (Tout est illuminé) de Jonathan Safran Foer, un auteur juif-américain dont l'humour n'est pas sans rappeler celui d'un certain Woody Allen, ce qui me laisse penser que Jean-Pierre Poccioni pourrait y être sensible.

Après une centaine de pages, je peux déjà vous dire que je suis réellement emballé par ce roman dont l'inventivité me surprend à chaque page, et ce tant au niveau de l'histoire que de l'écriture. Quand j'aurai fini ma lecture en anglais, j'irai voir comment le traducteur français s'en est sorti parce que cela ne me semble pas du tout évident d'adapter ce que Foer fait par moment avec le langue anglaise.

L'humour est omniprésent et certaines scènes sont carrément à mourir de rire, mais ce roman est tout sauf une grosse farce, le fameux "supplément d'âme" est bien présent. En tout cas moi je l'y ai trouvé.

Les forêts de la nuit, de Jean Louis Curtis

    L'auteur :

Jean Louis Curtis est né le 22 mai 1917 à Orthez, et décédé le 11 novembre 1995.
Il a obtenu le Prix Goncourt en 1947 pour son livre « Les forêts de la nuit ».
Il a été élu à l'Académie Française en 1986...
Mais de nos jours, sans doute depuis même avant sa mort en 1995, il n'est plus lu, et comme « passé aux oubliettes »... Est-ce à cause de son style, de son écriture « passés de mode » aujourd'hui ?

Voici cependant ce qu'en pense Michel Houellebecq, qui écrit à son sujet :

« Jean Louis Curtis est totalement oublié aujourd'hui. Il a écrit quinze romans, des nouvelles, un recueil de pastiches extraordinaire (…) et pourtant, aujourd'hui, il n'en reste plus rien, plus personne ne le lit, c'est injuste, c'était plutôt un bon auteur, dans un genre un peu conservateur, un peu classique, mais il essayait de faire honnêtement son travail »...


… C'est tout à fait exactement ce que je pense, comme Michel Houellebecq... Oui, venant de lire « Les forêts de la nuit »... Et je compte bien, par cette note que je rédige, refaire découvrir cet auteur... dont le style est aujourd'hui « passé de mode » mais dont le texte, enfin le contenu du texte est à mon sens, d'une actualité aussi proche, aussi tragiquement réaliste, que l'actualité de ces « années noires » de 1940 à 1945...

    Le livre :

Ce que j'en dis :

« Une chronique sans complaisance, d'une grande exactitude, réaliste, et d'une lucidité tragique, de ces temps de ténèbres que furent les années de l'occupation Allemande et de la France de Vichy, de 1940 à 1944 »...

    Résumé du livre :

Dans une petite ville située sur le gave de Pau, peut-être Orthez, que Jean Louis Curtis appelle « Saint Clar »... se déroule l'histoire...
Avec Francis de Balansun, 17 ans, un garçon au cœur pur, un résistant à sa manière... La sœur de Francis, Hélène, une jeune femme chic, en apparence très traditionnelle et rigide de maintien et de comportement, mais qui délaisse son fiancé Jean disparu alors qu'il tentait de rejoindre l'Angleterre par l'Espagne, laquelle Hélène qui s'abouche avec Philippe Arréguy, un voyou recruté par la Gestapo ; le père de Francis et d'Hélène, le comte de Balansun, un homme d'âge avancé « très classe très vieille France » mais résistant lui aussi, « à sa manière »... Et Madame Costellot, qui passe son temps à épier les gens de « Saint Clar » ; Madame Arréguy, la mère de Philippe qui adore son fils quasi « amoureusement », une femme accorte, et qui « n'a pas froid aux yeux »...

    Dans le livre :

… La bêtise et la haine couraient et ondulaient le long de cette foule bien nourrie, heureuse, cette foule de Saint Clar, qui n'avait jamais souffert, pour qui la guerre avait été une Golconde et les Allemands une bénédiction.
Ils étaient tous là, au grand complet, les petits profiteurs honnêtes de la guerre ; ils étaient là, hilares, rutilants de graisse et d'âpreté, les paysans des environs, ceux qui avaient exploité avec science et discernement la mine d'or allemande. Et puis tous les autres, les inconscients, les neutres et ceux qui avaient fluctué d'une opinion à l'autre, au gré des nouvelles militaires ; et les marchands, et les bonniches qui, la veille encore, chantonnaient des romances franco-allemandes ; il y avait Salaberry, le gargotier dévot et riche, flanqué de ses fils porteurs de scapulaires. Il y avait aussi des femelles dédaignées par les Allemands... Et tous exultaient, parce qu'on leur avait promis de faire défiler dans les rues deux ou trois putains faméliques, coupables d'avoir couché avec des prisonniers russes. C'était le jour de la vengeance, le jour des saintes colères. Il fallait des coupables. Et Saint Clar, toujours courageuse, avait décidé de faire défiler, nues, deux putains dévorées de tuberculose et de syphillis. …

… Jacques était là, au bord du trottoir, contemplant la foule. Le dégoût qu'il avait d'elle le faisait souffrir comme l'amour. Ses yeux étincelaient, ses poings se crispaient dans les poches de sa veste. « Ils » étaient répugnants, répugnants... Leur bassesse monstrueuse, leur lâcheté, leur laideur. Ce jour qui aurait pu être beau et noble, « ils » l'avaient défiguré, avili. C'était pour sauver ces larves que des milliers d'hommes étaient morts, des millions d'hommes ; que les garçons les plus purs de France avaient subi la torture ; que les parachutistes anglais étaient tombés du ciel comme des anges libérateurs ; pour sauver ces larves, que des armées russes et américaines avaient dépensé des miracles d'énergie et d'endurance. …

… Car il n'y aurait pas de révolution. La colère de ce peuple impuissant s'était résolue en cris inutiles contre de faux coupables et des boucs émissaires. D'un conflit à l'échelle de la planète qui aurait dû passer sur la France comme un grand souffle purificateur, ce peuple ne retirerait nulle leçon, nul enseignement, nulle grâce. Il n'y aurait que le retour des anciennes pantalonnades municipales ou électorales, la continuation d'un statu quo d'injustice et de médiocrité...

… Ces passages, qui évoquent le « Grand Jour » , le jour de la Libération, mais aussi qui résument ce qui s'est passé durant ces cinq années de la seconde guerre mondiale en France, dans les villes et les villages, d'un bout à l'autre de l'échelle sociale... Me semblent aujourd'hui encore d'actualité... La bêtise et la haine... Les coupables désignés, les petits et gros profits, la lâcheté, la bassesse, la duplicité, l'hypocrisie... Et le Fric, toujours aussi Roi, les mêmes drames, la même réalité absurde et tragique... Mais aussi -et heureusement- la même beauté du monde en opposition,  comme un fleuve d'une majesté et d'une force sublimes qui charrie sur ses bords, les raclures et les boues et les végétaux décomposés arrachés aux rives...
Les « Occupants » sont aujourd'hui les Grands Décideurs des Centrales de médias, les assemblées d'actionnaires de multinationales, les rois de la finance, les décideurs économiques, et leurs servants, à savoir les Gouvernements et leurs élus, leurs instances...
Et les « collaborateurs » sont ceux qui se gavent de ce que les Occupants dégueulent, et qui se vautrent dans le marécage puant de ces mêmes occupants...