Des photos réalisées par Jipi

Si l'éclatement et la pluralité des perceptions d'une création sont signes qu'elle est fertile alors tout est bien.

Je trouve cependant un peu insolite qu'on puisse penser moins apprécier une photographie parce qu'elle serait présentée sans titre. A moins que ce titre soit une sorte de clé...

Merci John.

Au moins ce sujet des titres est hautement intéressant pour moi dans la mesure où il suscite des réactions diverses.

Je vais tenter (en huit points !) et une fois pour toutes d'expliquer encore une fois la démarche de mes titres.

1. Je trouve aussi curieux que l'on trouve moins intéressante une photo si elle n'a pas un titre !

Néanmoins je conçois que certains titres enrichissent encore davantage la vision d'une photographie. Je m'explique : la photo doit, pour moi, être riche en elle même de sens variés, mais le titre tel que je le conçois peut envoyer le spectateur vers d'autres voies plus ou moins riches/signifiantes qui complètent les voies diverses vers lesquelles envoie une photo. Dans ce sens je peux alors comprendre la remarque de John !

2. Normalement une photo doit se suffire à elle-même. Elle doit avoir des qualités en elle-même.

3. De nombreux artistes-photographes ne donnent pas de titre (choix personnel) ou donnent souvent un titre explicite qui pour moi est sans intérêt du style : « Voie ferrée sous les broussailles » ou « Versailles, 1927 ».

4. Très peu d'artistes-photographes donnent des titres aux photos tels que je le fais. Concept très rare contrairement à ce que pense John.
Je ne connais d'ailleurs que très peu de photographes qui procèdent comme moi à part quelques personnes comme Kertesz.

5. Description imparfaite du concept : donner un titre pluriel à une photo en utilisant un langage souvent poétique (je suis aussi poète) offrant fréquemment des métaphores ou des symboles. J'essaie d'envoyer le spectateur vers plusieurs significations. Au moins plus d'une !!! Dans le cas présent il y en a au moins trois et peu importe que vos significations rejoignent les miennes ou non. Mon but est de faire rêver le spectateur à travers la photo (souvent plurielle : elle offre plusieurs sens) et à travers le titre (pluriel : il offre plusieurs sens).

6. Quand je dis pluriel, je ne veux pas dire par là « infinité de sens » mais « pluralité de sens » (il y a plusieurs sens).

7. L'utilisation du titre, tel que je le conçois, permet d'envoyer le spectateur vers des voies diverses et de le faire rêver vers DES sens qui, d'une certaine façon, sont légèrement orientés vers ces voies diverses.

Prenons le cas présent :

- Ne pas donner de titre : ouverture maximale encore faut-il être capable d'ouverture...

- Un titre explicite : « Voie ferrée sous les broussailles » ou « Versailles, 1927 ». Aucun intérêt à mes yeux.

- Mon concept-titre : « Mémoire ». Titre ouvert même s'il envoie vers la thématique de la mémoire...

Quelle mémoire ? Quel est le rapport entre une voie ferrée et la mémoire ? Quel est le rapport entre une voie ferrée couverte de broussailles et la mémoire ? Ne faudrait-il pas parler plutôt de souvenirs ? Mais alors quel est l'intérêt du mot mémoire ? Tiens le mot mémoire ne vous fait-il pas penser aussi à autre chose sur le plan historique ? Tiens la photo n'est-elle pas en noir et blanc ? Oui, dans le fond... mais pourquoi donc ? Le titre est « La mémoire » et non « Mémoire ». Mais pourquoi donc ?

Que de questions (il y en a encore bien d'autres !) auxquelles je ne répondrai pas bien entendu.

Les significations sont donc multiples.

En plus le titre fait souvent réfléchir aussi comme le souligne un photographe italien (en italien !) qui a analysé la fonction de mes titres photographiques dans mon site officiel. J'aime sans doute à la fois faire rêver et faire réfléchir un peu !

Je m'arrête ici...

8. J'ai bien conscience que je suis en quête permanente sur le plan de la recherche de mes titres (certains me semblent encore imparfaits).
La recherche d'un titre peut prendre une heure. Parfois le titre vient en même temps que la photo.

« La vision poétique qui traverse souvent les images apparaît également à travers les titres des photos dans la mesure où ils apportent une dimension parfois nouvelle en permettant à l'esprit du spectateur de voyager vers de multiples significations. »

EN RÉSUMÉ : JE CONÇOIS UN TITRE COMME UN SUPPLÉMENT DE SENS DIVERS À UNE PHOTOGRAPHIE QUI DEVRAIT DÉJÀ ÊTRE PORTEUSE DE SENS EN ELLE-MÊME. SANS DOUTE ALORS QUE LE TITRE TEL QUE LE CONÇOIS ACCENTUE LA PERTURBATION/LA RÉFLEXION CHEZ LE SPECTATEUR (une hypothèse). ENCORE QUE L'ON POURRAIT SE CONTENTER DE LA PHOTOGRAPHIE SI ON LE SOUHAITE (C'EST LA LIBERTÉ DU SPECTATEUR EN SOMME).

Explication très claire Jipi et d'ailleurs ce n'est pas le principe que je discute mais certaines applications.

Dans le cas présent ( nous sommes sept chez moi) 100 % des spectateurs vont vers l'équation suivante :

Voie ferrée abandonnée + La mémoire = évocation de la déportation.




(ce faisant, mes tests élargissent ton public qui au passage apprécie beaucoup ! )

Jean-Pierre Poccioni a écrit:

Je trouve cependant un peu insolite qu'on puisse penser moins apprécier une photographie parce qu'elle serait présentée sans titre. A moins que ce titre soit une sorte de clé...

Je vais être très honnête : sans le titre, je doute très fort que cette photo m'ait évoqué quelque chose en rapport avec la mémoire.

Et sans ce lien avec la mémoire qui m'a amené à me poser une série de questions que j'ai jugées "intéressantes", je suis désolé de dire que je trouve cette photo joliment cadrée mais pas particulièrement originale.

On peut bien sûr objecter que c'est dû à mon manque d'imagination, ou encore à ma piètre culture photographique.

Donc oui, pour moi en tout cas, le titre change tout dans mon approche de cette photo, il apporte un plus.

C'est sans doute pour ça que les expositions de photos me laissent généralement de marbre, alors que j'ai été passionné en visitant celles de Jipi ou en surfant sur son site.

Jipi a écrit:

Très peu d'artistes-photographes donnent des titres aux photos tels que je le fais. Concept très rare contrairement à ce que pense John.

Pardon pour cette erreur donc, mais au fond pourquoi est-ce si rare en photographie ?

Un tout grand merci alors au club des sept qui apprécie !!!

Je ne crois pas avoir jamais été aussi long dans mes explications, mais je voulais un peu expliciter les choses. Si les explications sont claires, tant mieux !

Entre parenthèses le sens que tu viens de donner est effectivement un des sens possibles et auquel je tenais.

C'est d'autant plus curieux qu'aucun commentateur n'avait encore décelé cette interprétation parmi d'autres d'ailleurs !

Intéressants ces tests je trouve !

Jean-Pierre Poccioni a écrit:

Explication très claire Jipi et d'ailleurs ce n'est pas le principe que je discute mais certaines applications.

Dans le cas présent ( nous sommes sept chez moi) 100 % des spectateurs vont vers l'équation suivante :

Voie ferrée abandonnée + La mémoire = évocation de la déportation.

Woaw ! Pas du tout pensé à ça !

Le titre a fait l'effet inverse sur moi, concernant cette photo. J'étais plutôt partie dans l'interprétation basique de l'homme qui envahit la nature. Puis ce titre m'a complètement bloquée. J'ai largement préféré les deux photos précédentes ! Je trouvais qu'il y avait plein de choses à dire. Cette photo ci fait preuve d'une grande banalité. J'arrive à relier la mémoire au noir et blanc mais concernant le contenu... pas vraiment.

Vous auriez dû alors parler plus longuement des deux photos précédentes Marilou ?!

Pourquoi est-ce si rare John ?

Je n'ai pas de réponse à cette question même si je trouve ta question très intéressante.

Pas du tout d'accord sur le manque d'originalité de cette image !

Il me semble qu'elle fait partie de ces reprises d'un thème fréquenté ( d'où le risque de sembler convenue) avec le supplément d'âme d'un détournement. Ici, le détournement réside dans le cadrage ( dont on sait à quel point Jipi le soigne et le manipule avec délectation) un cadrage vertical qui tire l'oeil vers le bas, le premier plan, où il n'y a obligatoirement RIEN alors que le spectateur aimerait aller vers le haut qui est interdit par la coupure brutale du cadre, vers le haut où l'on imagine qu'il y a TOUT.

Il y a d'autres choses à regarder dans cette photographie, mais ceci est un point fort.


PS: Posez n'importe quoi au sol, au niveau du premier plan et c'est une autre image, un autre monde.

Quelle belle analyse Jean-Pierre !

Je constate que tu es aussi fort dans l'analyse de l'image que dans celle du texte !

En fait tous les sujets peuvent être photographiés (même une pomme de terre comme je le dis souvent par boutade !) : ce qui compte c'est la manière de faire et tu as bien perçu la recherche (assez longue par ailleurs) et qui est inhérente à cette image (qu'on l'aime ou non bien évidemment !) qui lui confère une dimension différente de certaines images qui peuvent être effectivement banales.

Je ne sais pas si je suis fort, mais comme tu le sais je ne manque quasiment pas une exposition photographique parisienne. Même chose pour la peinture et la sculpture...

L'oeil s'éduque au contact des grands comme l'esprit du lecteur s'éveille à lire les beaux textes. Je ne connais pas de très bons lecteurs incultes !

Impression de déjà vu des milliers de fois pour qui veut évoquer les camps, cela glisse sur moi comme le vent sur cette herbe...

Jipi a écrit:

Vous auriez dû alors parler plus longuement des deux photos précédentes Marilou ?!

Il me semble en avoir parlé concernant la seconde photo, quant à la première, je venais d'arriver sur ce forum... Je me suis contentée de trois mots pour un long regard ^^

Citation :

Il me semble qu'elle fait partie de ces reprises d'un thème fréquenté ( d'où le risque de sembler convenue) avec le supplément d'âme d'un détournement. Ici, le détournement réside dans le cadrage ( dont on sait à quel point Jipi le soigne et le manipule avec délectation) un cadrage vertical qui tire l'oeil vers le bas, le premier plan, où il n'y a obligatoirement RIEN alors que le spectateur aimerait aller vers le haut qui est interdit par la coupure brutale du cadre, vers le haut où l'on imagine qu'il y a TOUT.

Sauf que ce cadrage est très commun en photographie.

Citation :

L'oeil s'éduque au contact des grands comme l'esprit du lecteur s'éveille à lire les beaux textes. Je ne connais pas de très bons lecteurs incultes !

Tout à fait d'accord !

Ce cadrage précis n'est pas si commun en photographie et je n'ai aucun souvenir de l'avoir vu sous cette forme. Cela dit des rails... oui. Mais toutes les vues de bord de mer ne sont pas du Lartigue !

Je trouve également que le cadrage n'est pas banal.

Je n'ai pas encore donné mes interprétations de cette photo.

Assez étrangement, je n'avais pas (encore) pensé à la déportation

J'ai d'abord pensé à la maladie d'Alzheimer : les herbes blanches (la maladie) qui finissent par cacher les rails (les souvenirs). D'autre part, il y a ces rails qui s'éloignent en se rétrécissant, pouvant évoquer la perte progressive de la mémoire.

Mais ces herbes blanches pourraient aussi représenter les souvenirs eux-mêmes, accrochés aux différents âges de la vie (les rails).

L'association de la voie ferrée et du terme "mémoire" m'a aussi immédiatement renvoyé à la Shoah, d'autant que comme le souligne Guimauve, cela en constitue une évocation tout à fait classique.
J'apprécie d’ordinaire les associations titres-photographies de Jipi. Dans ce cas de Mémoire, cette association demeure à mon sens banale.

D'une certaine manière on revient à ma remarque initiale. Car en effet l'association rail/ déportation est surtout banale* par le truchement de l'idée de mémoire imposée par le titre.

Un autre titre ou une absence de titre aurait renvoyé à la perception intime du spectateur, dans la mesure où une oeuvre est aussi un sens offert à qui veut s'en emparer.


* Il y aurait une autre discussion à mener sur cette si banale condamnation du "banal" et surtout sur une définition acceptable et intéressante du concept et de son contraire.


Au fait des amoureux qui s'embrassent...Banal ou pas ?

Non Jean-Pierre ! Personne ici sauf ton groupe d'amis et apparemment Gosayn n'avaient pensé à la déportation qui n'est qu'un seul sens parmi une diversité de sens inclus !

Je ne donne d'ailleurs jamais les différents sens du titre de mes photos ! Il y a donc bien une diversité de sens et les explications supplémentaires de John révèlent d'autres sens.

Il est clair que si une personne affirme « cela me fait penser à cela », d'autres peuvent être tentés d'assimiler une photo à une unique interprétation.

Ma très longue explication sur les titres de mes photos (voir plus haut) révèlent la volonté d'une diversité d'interprétations (voir les questions nombreuses que je soulève à propos du titre de cette photo !)

@ Gosayn : La mémoire, pas Mémoire !!! Voir mon explication à ce sujet plus haut.

@ Jean-Pierre : SUITE

Je reviens maintenant à ta question.

Les amoureux qui s'embrassent : sujet banal certes puisque souvent traité, mais la force de l'artiste sera de transcender le sujet par une approche personnelle.

Comme je le disais précédemment, tous les sujets peuvent être traités, mais c'est « la manière de » qui peut être intéressante.

Lorsque j'ai vu l'image, j'ai pensé "Oubli", c'est-à-dire la mémoire négative. La photographie des rails est commune, mais habiruellement les rails se rejoignent à l'horizon et le paysage est visible à droite et à gauche. Ici, les rails sont coupés. Au contraire de J.P. Poccioni, je pense qu'au-delà il n'y a rien Cette coupure symbolise la mort. Les rails, c'est la vie subie. L'herbe aussi est morte, il ne reste rien. La seule trace de vie, c'est un léger vent qui pousse l'herbe à gauche.

Merci de votre regard Callinira et de vos observations intéressantes liées à une autre interprétation signifiante.

Un régal pour les yeux !

Merci François pour cet accueil de ma photographie !

C'est une photo que je trouve particulièrement belle et décorative, on peut la regarder longtemps sans se lasser, d'où ce premier cri "un régal pour les yeux".

Les couleurs lumineuses, les jeux d'eau et d'ombres me stimulent et m'apaisent en même temps. Cette photo conviendrait parfaitement à la méditation.

Le titre, cette fois, ne m'invite pas à chercher un contenu particulier, il est simplement poétique et c'est très bien comme ça.

Je comprends tout à fait ce que tu ressens...

PS : Je viens d'en faire un tirage 30x40 !