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| Photographie : Les deux questions de Jacques Kevers | |
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Jipi Administrateur
Nombre de messages : 5908 Localisation : Belgique Date d'inscription : 26/10/2005
| Sujet: Photographie : Les deux questions de Jacques Kevers 24/9/2011, 15:33 | |
| Jacques Kevers est un photographe belge, spécialiste des techniques photographiques anciennes, avec qui j’ai l’occasion d’échanger à plusieurs reprises des points de vue concernant la photographie.
Un jour, il m’envoya le message suivant qui m’a sincèrement beaucoup interpellé et que je considère un peu comme une référence pour les photographes qu’ils soient amateurs ou professionnels, qu’ils fassent partie de clubs photographiques ou non. En tous les cas j’ai inscrit ce message dans ma bible personnelle (!) :
« Les principes de composition ne sont donc rien d’autre que des moyens que le photographe a à sa disposition pour atteindre le but qu’il s’est fixé. Cela implique évidemment qu’il connaisse ces moyens d’une part, et qu’il ait un but. Ce qui est moins souvent le cas qu’on pourrait le croire. Ma question « Pourquoi vous avez pris cette photo, et pourquoi voulez-vous la montrer ? » reçoit rarement une réponse. Beaucoup de photographes amateurs prennent leurs photos au hasard… ».
Jacques Kevers préfère parler, à juste titre, de principes de composition plutôt que de règles.
Les principes de composition ne sont pas des buts en soi. J’y reviendrai ultérieurement.
Il est bien entendu utile de connaître ces principes, mais ces derniers ne sont qu’un moyen à mettre au service des objectifs que l’on se fixe. Et ces moyens sont choisis par tel ou tel photographe en fonction de ses buts personnels.
Il n’y a donc pas, dit Jacques Kevers, des lois rigides qui nous enferment dans un carcan, mais une multitude d’outils à notre disposition pour nous aider à mettre en évidence dans une photo ce que nous voulons qu’un spectateur y trouve en priorité. On a tout intérêt de connaître ces théories, pour les appliquer à bon escient, mais chaque photographe est libre de les utiliser ou non, ou d’en sélectionner certaines plutôt que d’autres. Il n’y a donc pas un carcan, mais une formidable invitation à la créativité, la diversité et à la liberté.
Il me semble que la notion de but ou d’objectif est importante. Trop de photographes, comme le dit Jacques Kevers, ne savent plus trop ce qu’ils font ! Ils prennent leurs photos au hasard ! Je suis personnellement toujours étonné de voir, par exemple, le nombre de photos prises par certains photographes lors d’une ballade photographique et ce sans intention réelle. Ces mêmes photographes me diront d’ailleurs le plus souvent avoir jeté la plus grande partie des photos prises. Ou pire ils ne feront plus le tri et montreront quasiment toutes les photos prises pour la plupart d’entre eux au hasard en mitraillant pour employer une expression très à la mode avec le numérique ! Ils auront même oublié que l’art de la photographie se développe en grande partie lors de la prise de vue.
Mais revenons aux deux questions de Jacques Kevers.
Deux questions, dit-il, qui ne reçoivent malheureusement pas de réponses dans les groupes ou clubs photographiques qu’il fréquente.
Je pense, comme lui, qu’il est important de savoir pourquoi le photographe prend telle ou telle photo : telle est la première question.
Il serait souhaitable que le « bon » photographe ne tire pas au hasard sur une cible en espérant que dans le lot des photos prises il y en ait peut-être une qui soit acceptable ! Il devrait peut-être avoir une intention qui le titille même si cette intention n’est pas toujours clairement formulable. Finalement il me semble donc intéressant de se pencher sur cette fameuse question qui nous évitera d’entendre des observations du style : « Mais je ne sais pas moi ! Je me trouvais là et j’ai mitraillé en me disant que cela pourrait être éventuellement intéressant ! ».
La deuxième question de Jacques Kevers me semble également intéressante. Mais pourquoi donc je souhaite montrer telle ou telle photo ? En d’autres termes, « que voulez-vous communiquer à votre public par cette photo ou cette série de photos ? » ou « Qu’avez-vous vu qui vaut la peine selon vous de communiquer à votre public par cette photo ou cette série de photos ? ».
On peut très bien, souligne Jacques Kevers, vouloir enregistrer une image pour son usage personnel, à titre de souvenir par exemple, sans avoir envie de la montrer à des tiers. Mais destiner une photo à d’autres implique qu’on lui attribue une valeur plus universelle, susceptible d’intéresser un large public. La photographie devient alors outil de communication et un langage à part entière. Si l’on désire la montrer au public, l’on doit aussi s’interroger sur le but poursuivi. On ne communique donc pas sans raison.
Pour terminer j’aimerais ajouter une idée importante, que m’a rappelée le Président d'un club photographique, entièrement d’accord par ailleurs avec les deux questions de Jacques Kevers. Et cette idée exprimée par ce Président est la notion d’imagination personnelle. Le but n’est pas de recopier ce que l’on a appris, mais d’aller au-delà et d’oser exploiter la part d’imaginaire qui est inscrite en nous. On peut aussi très bien prendre une photo parce qu’elle plaît à soi-même (on a pris plaisir à exploiter notre imaginaire) et ensuite la soumettre la photo aux deux questions de Jacques Kevers.
Enfin voici une des citations préférées de Jacques Kevers :
« Disons d’abord ce que la photographie n’est pas. Une photographie n’est pas une peinture, une poésie, un symphonie, une danse. Elle n’est pas simplement une jolie image, ni un pur exercice de contorsionisme technique ou de recherche du tirage parfait. Elle est ou devrait être un document significatif, une déclaration pénétrante, qui peut être décrit par un terme très simple : sélectivité » ( Berenice Abbott, in « Infinity » magazine, 1951).
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| | | François Administrateur
Nombre de messages : 2406 Age : 62 Localisation : Belgique Date d'inscription : 27/06/2007
| Sujet: Re: Photographie : Les deux questions de Jacques Kevers 24/9/2011, 18:39 | |
| C'est une conception de l'art que je partage assez largement mais j'avoue que c'est plus par intuition que par expérience.
J'imagine qu'il doit exister pas mal d'artistes qui contestent le bien-fondé de ces deux questions, notamment ceux qui défendent l'art pour l'art. Ce n'est pas mon cas.
J'imagine aussi qu'une photo qui a été prise "au hasard" et est montrée sans but précis peut néanmoins - par hasard peut-être - être géniale. _________________ "Je n'ai pas d'obligation plus pressante que celle d'être passionnément curieux". (Albert Einstein)
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| | | Jean-Pierre Poccioni Membre
Nombre de messages : 3237 Age : 76 Localisation : Loiret Date d'inscription : 10/12/2005
| Sujet: Photographie 25/9/2011, 09:59 | |
| Très intéressante réflexion.
Les deux questions :« Pourquoi vous avez pris cette photo, et pourquoi voulez-vous la montrer ? » peuvent très bien s'appliquer à d'autres formes d'art. Pourquoi avec-vous écrit ce roman et pourquoi voulez-vous le publier?
L'une des questions renvoie à la problématique de la nécessité. Pas seulement nécessité d'écrire mais d'écrire "cela" ce roman précis, ce poème précis. Et par nécessité il ne faut pas entendre uniquement plaisir !
La seconde question concerne cette fantastique volonté d'être publié qui touche des gens, parfois totalement dépourvus de talent, qui sont incapables d'accepter le moindre regard critique sur leurs écrits. On connait la réflexion fameuse: "Des romans nuls sont publiés* pourquoi pas le mien !"
Tout cela nous rappelle à une notion bien désuète, celle de la morale personnelle et de la simple dignité.
* Ce qui est vrai bien que certains manuscrits envoyés aux maisons d'édition sont d'une hallucinante nullité ! | |
| | | Jipi Administrateur
Nombre de messages : 5908 Localisation : Belgique Date d'inscription : 26/10/2005
| Sujet: Re: Photographie : Les deux questions de Jacques Kevers 25/9/2011, 10:27 | |
| Merci François et Jean-Pierre pour vos réflexions également intéressantes. J'y reviendrai sans nul doute.
Tu parles, Jean-Pierre, de cette question fameuse de l'écrivain qui s'étonne de ne pas être publié alors qu'il pense avoir pu faire mieux que ces écrivains publiés. Je suis d'accord avec toi.
Néanmoins je pense aussi que cette réflexion a parfois sa justification. Je constate que des personnes de grand talent ne sont pas publiées par les éditeurs officiels comme je constate que des photographes au maigre/médiocre talent sont révélés en exposition !!! Pour moi cette dernière problématique est aussi essentielle.
Je pense qu'il y a aussi parfois des facteurs purement extérieurs à l'art qui font qu'un écrivain sera parfois édité, un photographe ou un peintre parfois exposé et cela m'irrite quelque peu : certaines relations, certains passe-droits, certains jurys d'école au nom très réputé, certains journalistes culturels qui ont pignon sur rue et que l'on écoute comme des dieux, etc. Dans le cas d'une révélation de talent, ces facteurs extérieurs à l'art sont justifiés, mais ce n'est malheureusement pas toujours le cas.
Mais ceci nous écarte du sujet essentiel du hasard et de la nécessité...
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| | | Jean-Pierre Poccioni Membre
Nombre de messages : 3237 Age : 76 Localisation : Loiret Date d'inscription : 10/12/2005
| Sujet: Photographie 25/9/2011, 12:59 | |
| Il est tentant d'opposer les mauvais romans publiés ( ou photos diffusées, exposées) et les bons romans qui ne le sont pas. Cependant les deux phénomènes sont des conséquences de réalités très différentes et, en la matière, les vases ne sont que très peu communicants.
Par ailleurs le problème se complexifie du fait que la relation entre succès commercial et qualité de l'oeuvre est très complexe au point d'offrir quantité de cas de figure.
J'ai regardé avec intérêt le documentaire Arte sur Philip Roth, excellent écrivain et très grand succès commercial.
Quant au concept de nécessité il reste à prouver qu'il est lié au concept de talent. Je n'en suis pas certain. Mais, par contre, le génie du hasard qu'évoque François: non ! je n'y crois pas ou bien il faut trouver un autre mot que génie.
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| | | François Administrateur
Nombre de messages : 2406 Age : 62 Localisation : Belgique Date d'inscription : 27/06/2007
| Sujet: Re: Photographie : Les deux questions de Jacques Kevers 26/9/2011, 18:36 | |
| - Jean-Pierre Poccioni a écrit:
- Mais, par contre, le génie du hasard qu'évoque François: non ! je n'y crois pas ou bien il faut trouver un autre mot que génie.
Un artiste dépourvu de talent qui créé par hasard une oeuvre qui s'avère ensuite être géniale, je n'y crois pas non plus. Mais dans le cas d'un photographe talentueux, j'imagine que le hasard peut jouer un rôle non négligeable. Par exemple, un élément imprévu qui apparaît juste au moment où il appuie sur le déclencheur et qui donne à la photo un caractère exceptionnel. Un nuage qui change soudain de forme, un chien qui passe, un oiseau qui se pose, ... On me rétorquera peut-être que c'est plus une question de patience et de talent que de hasard, mais le hasard ne joue-t-il pas un rôle quand même ? Qu'en pense notre photographe talentueux Jipi ? Dans le cas de l'écriture, les choses sont différentes. Ecrire un texte génial par hasard semble moins plausible. _________________ "Je n'ai pas d'obligation plus pressante que celle d'être passionnément curieux". (Albert Einstein)
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| | | Jean-Pierre Poccioni Membre
Nombre de messages : 3237 Age : 76 Localisation : Loiret Date d'inscription : 10/12/2005
| Sujet: Les deux questions de Jacques Kevers 26/9/2011, 19:34 | |
| Certes François, mais j'étais beaucoup plus immédiat dans mon propos. Génial veut dire qui est inspiré par le génie, le génie étant une sorte de talent naturel, inné et surtout lié à l'individu et non à des circonstances !
Si on prend "photo géniale" au sens "d'excellente photo", le hasard peut en effet venir en aide au photographe. Il existe même des domaines de la photographie où la chance peut être une alliée précieuse, le reportage ou toute photographie de l'instant, par exemple.
Il est clair que dans ces cas, le spectateur averti verra probablement la part de la chance qui au demeurant ne conditionnera pas toute l'image. Je doute qu'on puisse faire une image du niveau de celles de Ronis, Lartigue, Doisneau ou Bresson même avec de la chance !
Par contre la chance peut vous faire prendre un "scoop" mais l'art n'y entre en rien. | |
| | | Jipi Administrateur
Nombre de messages : 5908 Localisation : Belgique Date d'inscription : 26/10/2005
| Sujet: Re: Photographie : Les deux questions de Jacques Kevers 29/9/2011, 12:24 | |
| Il y a le hasard du moment (on était là au bon moment par hasard) qui peut donner occasionnellement de très bonnes photos. À mettre parfois en rapport avec l'instant décisif dont parle Bresson. Le hasard joue donc un rôle dans certains cas.
Il y a aussi le hasard dont parle Jacques Kevers : celui de nombreux photographes qui photographient dans tous les sens et à tous les instants en espérant qu'une bonne photo sorte du lot ! Ils prennent leurs photos au hasard !!!
La patience (cette fameuse prise de temps tellement essentielle en photographie) et le talent (lié en partie à ce regard photographique) ne sont bien entendu pas liés à ces deux formes de hasard sauf cas exceptionnels. | |
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