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 Empreinte des Mots:Nouvelle nonchalante pour matins d’utopie

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Constance d'Epannes
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Constance d'Epannes


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MessageSujet: Empreinte des Mots:Nouvelle nonchalante pour matins d’utopie   Empreinte des Mots:Nouvelle nonchalante pour matins d’utopie Empty24/6/2008, 11:52



OR PALE

Une journée cabotine comme on les vénère ici. De ces après-midi d’or pâle surchauffées, dilettantes, prises dans la poussière des rayons baladins. Colorée de feu par une foule sans cesse grandissante la ville s’était emplie d’un mouvement refusant, instable. Place de la Comédie, près des nuées de pigeons inquiets voletant autour des tables, aux terrasses pleines où rayonnent les chanteurs de ruelles, jongleurs, cracheurs de feu, il y avait dans l’air plus qu’un abandon. Lise était venue se lover rue des Étuves. Ainsi qu’elle le faisait parfois, du côté des rayonnages, entre les essais, les fragments, en arrière des vitrines. Pour se réchauffer au soleil des autres.


- Lisez, lisez-moi quelque chose, parlez-moi, voulez-vous ? Avait-il murmuré d’une voix absente, mais ferme.


La librairie Poquelin était vide ce jour-là, est-ce vide qui le poussa à lui parler. Il lui avait fait face, adossé contre une étagère où le plus beau revêtement qui soit, s’étire en lés philosophiques et romanciers. Il l’avait regardée sans tout à fait la voir, imprimant la glace de ses yeux clairs à sa mémoire. Et dépliant son corps immense, comme on ouvrirait un grand journal intime. La main puissante qu’il dégagea des feuillets d’un livre et frôla la sienne, était usée. Une douceur comme, enfantine. Elle prit cette douceur pour guide.


- Les librairies m’inquiètent, murmura Lise qui traversait plusieurs ouvrages. Puis ouvrant une page de Shakespeare, elle lu sans vraiment lire *« Si j’ai profané avec mon indigne main cette chasse sacrée, je suis prêt à une douce pénitence»…


- « Permettez à mes lèvres comme deux pèlerins rougissant… »…Je suis encore reçu dans Vérona, vous savez, On dit, là-bas, que je sculpte la pierre, mais il m’arrive encore d’écrire, en Vénétie...

Il soupira en cherchant son regard, enfin, levant les yeux vers des préfaces et continua…

- Lorsque je voyais mieux, j’étais dramaturge. Aujourd’hui je suis un peu faussaire, de billets doux. Un contrefacteur d’idées noires. Écrivain public quoi. Je viens jusqu’ici pour une autre inspiration, à la verticale. Mais si je le pouvais, je resterais couché, caché là, à l’horizontale, derrière les inédits, tout près des impromptus. Seriez-vous de plume ?

- De plume et de puces, femme légère, de messages, messagère. J’aime les correspondances, les rimes, les boîtes aux lettres et les ressemblances. Mais comment s’approcher, seulement un peu, de : *«Nous aurons des lits pleins d’odeurs légères, des divans profonds comme des tombeaux ». Quels guêpiers les librairies, n’est ce pas. Mais que dites-vous, Vérone ?...

La libraire malicieuse et discrète à qui il confiait ses désirs éphémères de convoler, n’avait pas bougé d’un cil. Feuilletant ses listings d’éditeur, d’un air concentré elle avait fredonné simplement *« Ni tout à fait une autre...». Elle lui fit signe qu’elle devait s’absenter un instant, tourna les talons et referma la porte vitrée sur elle.

- Où inscrire votre nom quelque part ? Souffla-t-il. J’étais venu chercher dans les pages des débauches du cœur, quelque chose de volatile. A mon âge, c’est tout ce que je veux exiger. Je garderai en mémoire que nous nous sommes croisés, du coté des épilogues, vers 17 heures 07…pour l’Amour que nous ne ferons pas ensemble.

Entre Terenzio et Lise il ne se passa rien de spectaculaire. Avec une délicatesse infinie, Lise avait seulement glissé son bras sous le sien comme s’ils s’adoraient depuis toujours et l’avait mené près d’un renfoncement destiné aux signatures. Il la laissa faire pendant qu’elle déboutonnait sans se presser le haut de sa chemise, fine, qu’elle découvrit d’un côté jusqu’à l’épaule. Près de la veine du cou où afflue le sang qui palpite, avec une pointe indélébile elle avait tracé des numéros, et imprimé son prénom dans sa peau.
En redescendant la rue des Étuves, écorchant de ses talons les grands pavés plats et avant qu’il ne s’envole pour l’Italie, il lui rappela qu’il y a encore aujourd’hui, à Vérone, au 3 Via Galilei, une maison frôlant sa maison. Une adresse accouplée à la sienne, connue des amants tous neufs. On peut y écrire véritablement à Juliette fille de Lady Capulet et à Roméo, enfant de la demeure Montaigu.

Plus tard, Lise changeât de numéro. Elle n’entendit plus le veilleur de nuits d’amour, ni le bel accent tonique tourné vers la mer.

Près des terrasses pleines, où rayonnent manouches, jongleurs, cracheurs de feu, joueurs de diabolo, là où des nuées de pigeons fébriles volettent autour de tables, elle était revenue s'asseoir. Nuancée de feu par une foule sans cesse grandissante la ville s’était emplie d’un flux mouvant et chaotique. C’était une de ces journées d’or triste comme on les adore ici. L’une de ces après-midi baignées par la poussière diamantée des rayons saltimbanques.
Elle se souvenait que ce jour là, un couple de comédiens se donnait des répliques. Place de la Comédie on songeait à Molière. Elle était où on ne peut s'empêcher de revenir, pour l’extraordinaire mosaïque compacte, pour les regards, les nuances de peaux et le spectacle des autres.

Ce texte a été élu et lu, lors du Festival « Le Printemps des Comédiens » 2003 (Il me semble que c’était par Didier Sandre, mais je ne peux l’affirmer, j’ai oublié). Il s’intègre un groupe d'autres Nouvelles. Chacune d’entre elles prenant une nuance, dans l'idée qu'elles participent à une palette de couleurs.

* Charles Baudelaire « La Mort des Amants ».

* Shakespeare « Roméo et Juliette » acte 1 scène première Roméo/Benvolio. Acte 1 scène V Roméo/ Juliette/Mercutio
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Jean-Pierre Poccioni
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Jean-Pierre Poccioni


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MessageSujet: Empreinte des mots   Empreinte des Mots:Nouvelle nonchalante pour matins d’utopie Empty25/6/2008, 07:36

Un texte sans défauts, marqué par une maîtrise de la langue ( trop visible ?) incontestable. Une volonté de saisir avec précision l'ineffable de certains instants.

Cependant je suis un peu réservé quant à l'hypersophistication de l'écriture qui à certains moment confine au manièrisme.

"le plus beau revêtement qui soit, s’étire en lés philosophiques et romanciers."

Un peu limite à mon goût (qui n'est certes pas universel)...Je préfère nettement le beau passage qui évoque Vérone...
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Constance d'Epannes
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Constance d'Epannes


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MessageSujet: Re: Empreinte des Mots:Nouvelle nonchalante pour matins d’utopie   Empreinte des Mots:Nouvelle nonchalante pour matins d’utopie Empty25/6/2008, 13:17

Jean-Pierre Poccioni a écrit:
Un texte sans défauts, marqué par une maîtrise de la langue ( trop visible ?) incontestable. Une volonté de saisir avec précision l'ineffable de certains instants. Cependant je suis un peu réservé quant à l'hypersophistication de l'écriture qui à certains moment confine au manièrisme. "le plus beau revêtement qui soit, s’étire en lés philosophiques et romanciers."Un peu limite à mon goût (qui n'est certes pas universel)...Je préfère nettement le beau passage qui évoque Vérone...

La plupart du temps, on me parle d’écriture Baroque pour qualifier cette façon que j’ai de travailler certains morceaux de phrases, tout en me laissant en même temps aller à l’impulsion, à d’autres endroits du texte. En y amalgamant des images ou des abords inopinées, crus, graves, réalistes, cyniques, violents, distanciés ou interrogateurs. C’est plus encore repérable dans d’autres Nouvelles comme "Nacarat".
Ou pour "Vert Cru" que je ne poserai pas sur le Forum.

Le Baroque, avec ses apports d’images, avec la multiplication des points de vue et les jeux entre l’intérieur et l’extérieur, j’adore ce projet littéraire. Opter pour le soulèvement du verbe est totalement à contre courant du mode contemporain épuré, que, pour votre part, vous réussissez merveilleusement Jean-Pierre. Le Garçon en Ville en est l’éclatante illustration, je viens de le relire une fois encore, comme je vous l’ai dit.

C’est sans doute pour le peu d’envie d’épure que je ne suis pas en quête des pleins succès, mais beaucoup plus dans la rencontre individuelle avec certains lecteurs. J’aime l’idée d’une cour très personnelle, sans doute des miasmes royalistes.
Je vais vous confier quelque chose, qui n’est pas visible à l’oeil nu quand on me lit, je le sais. J’ai adopté, depuis longtemps, une certaine de technique où je m’oblige à écrite sans réfléchir presque, pour que surgisse le plus instinctif. Ce qui est assez surprenant, est que, ce qui va apparaître sophistiqué, est fréquemment venu d’une totale improvisation et sans aucun calcul (nuées de pigeons inquiets voletant autour des tables, le plus beau revêtement qui soit, s’étire en lés philosophiques et romanciers, faussaire de billets doux, caché là à l’horizontale derrière les inédits, tout près des impromptus ou bien la partie Vérone à partir de Entre Terenzio et Lise...).

En revanche, ce que vous formulez est tout à fait juste, je garde "Une volonté de saisir avec précision l'ineffable de certains instants". A d’autres endroits, je vais effectivement ouvrager un maximum, comme un artisan. Pour m’approcher, de façon intime, de l’intention que je veux faire passer (recherche et enchâssement du mot vrai, avec plus de plaisir encore s’il est obsolète, jeux sur la sonorité des mots entre eux Lise était venue se lover rue des Étuves.[]- Lisez, lisez-moi quelque chose. Ou bien ce sont des changement de temps sur les verbes pour moduler la tournure ou lui donner une réalité ou l' adaptation d’un synonyme mieux approprié etc).
Me désespèrent les cohabitations de mots peu judicieux ou mal mariés. Je connais bien les divorces, ils font beaucoup de dégâts. On voit si souvent que l’auteur n’a pas cherché le sens ou n’a pas été bien loin dans son intention. Vous le savez comme moi, il suffit de quelques expressions autres pour bouleverser une page, voire un chapitre entier.
Mais j’accepte tout à fait de passer pour Maniériste, même si cela comporte une vraie connotation pégorative, ça ne me traumatise pas. La
« manière » étant aussi un art savant, donc une forme de virtuosité. Je viens de lire que les critiques définissent le Maniérisme comme un épiphénomène du Baroque. Certains, comme Montaigne notamment, pensent que les maniéristes sont des pré-baroques.

Bis : à propos de "Nacarat", ne me générait pas que vous fassiez paraître sur le Forum la critique que vous venez de me faire ou autre à ce sujet avec ses phases négatives ou positives, les deux m'interpellent. Et je vais avoir besoin d’attiser la réactivité des participants. Car, ainsi que je l’ai proposé à Jipi, en juillet, je vais ouvrir une ligne et de nombreuses extensions où je vais suggérer mes pistes et quelques autres clefs, secrets de biographe. Afin d’acclimater les membres qui le voudraient, à l’écrit biographique. Quelle horreur cette expression "Membre" dans ce contexte et dans cas présent. Au secours à lui, il faudrait se réunir tous pour trouver une idée force afin de nous nommer et en relation avec la verve et la Passion du mot.
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