« Le Che cigare à la bouche, regard au loin, c'est lui, René Burri. "ll ne m'a pas regardé une seule fois", explique le photographe au Guardian en 2010. C'était en 1963, dans le bureau du Che Guevara, au 8e étage de l'hôtel Riviera de La Havane. A l'époque, c'était le numéro 2 du pays, le ministre de l'Industrie et le directeur de la Banque nationale, raconte encore René Burri. Son visage était sur le billet de deux pesos. Les deux hommes se parlent en français. Le photographe accompagne une journaliste américaine du magazine Look. Alors que s'engagent entre elle et lui, une virulente conversation idéologique qui accapare le Che, René Burri prend des photos pendant deux heures et demie. Il utilise huit pellicules. Le Che souriant, le Che furieux, le Che fumant donc. René Burri n'a jamais su s'il avait aimé le cliché. Cuba n'a jamais répondu, dit-il.
On lui doit auss le célébrissime portrait de Picasso presque souriant, vêtu de son éternelle marinière, au côté d’une cage à oiseaux. Burri a photographié plusieurs célébrités : Le Corbusier, Giacometti notamment, et surtout Pablo Picasso, un "homme extraordinaire", avait-il confié au Guardian. C'est d'ailleurs une série de photos sur une rétrospective de l'artiste au Palazzo Reale de Milan qui a fait connaître Burri, souligne le quotidien argentin La Nación.
Le premier cliché du photographe, c'était déjà un homme connu : Winston Churchill en visite à Zurich, debout dans une voiture officielle décapotable. René Burri emprunte l'appareil de son père. Il n'a que 13 ans. C'est un chef d'œuvre, estime Le Temps de Genève.
Sa technique ? La douceur. "Il ne faut pas venir comme un bulldozer", avait-il coutume de dire, poursuit le quotidien suisse. "C’est une des raisons pour lesquelles, raconte encore Le Temps, il rate sciemment, un matin de 1959 à New York, alors qu’il se balade dans l’East Side, une femme aux lunettes noires et à la classe folle. René Burri a son appareil autour du cou mais il est incapable de le déclencher. "Si je l’avais fait, j’aurais loupé cette scène magnifique. Greta Garbo s’avançant gentiment vers moi. Et la photo aurait été mauvaise", explique-t-il.
René Burri avait pourtant l'habitude de dégainer vite. "Fidèle à sa légende, il brandit son Leica (toujours autour de son cou) si rapidement que l’on n’a même pas le temps de réaliser… Déjà la photo est prise", raconte un journaliste du quotidien suisse 24 heures qui l'a rencontré en 2012. Il réagissait vite, confirme le magazine The Week. Une habileté que le photographe attribuait au fait d'avoir grandi dans la ferme de son grand-père où il passait son temps à essayer d'attraper des mouches avec ses mains.
Parmi les dizaines de milliers de photos qu'il laisse - il les a léguées l'an dernier au Musée de l'Elysée à Lausanne - essentiellement des clichés en noir et blanc. il y a des photos de vie quotidienne, des changements culturels et de guerre, souligne la Deutsche Welle qui estime qu'on lui doit certaines des images emblématiques du 20e siècle. René Burri a couvert les principaux événements politiques du monde, rappelle Le Temps. Il a fait le tour de la planète pour l'agence Magnum, agence fondée par Henri Cartier-Bresson - "mon mentor et mon ami", voilà comment René Burri l'avait qualifié dans les colonnes du Guardian - pour laquelle il commence à travailler en 1955 grâce à un reportage dans une école d’enfants sourds-muets. En 1959, il en devient membre à part entière. Le Vietnam, la Corée, Cuba, la place Tian'anmen, les enterrements de Kennedy et de Nasser, le sommet Gorbatchev-Reagan, la guerre des Six-Jours... Beaucoup de conflits mais jamais de cadavres. Son métier, c'est de "documenter le bohneur ou le malheur des gens".
Pour Burri, une bonne photo, c'est "un mariage de réalité et d’émotion bien cadré", avait-il expliqué au Temps. "Il faut donc se servir de sa tête, de son œil, de son cœur et surtout de ses pieds !" Conseils aux débutants à lire dans Le Guardian : "Soyez curieux, déterminé et diplomate. Tout le monde prend des photos. Alors vous devez avoir votre propre opinion." Conclusion dans le quotidien 24 heures : "Il faut trouver son chemin, établir sa moralité parce que l’on peut tricher. Avec Photoshop par exemple, nous avons perdu beaucoup de crédibilité." (Marine de La Moissonnière)