RÉFLEXION PHOTOGRAPHIQUE N°2 : L'ATTENTE

Même s’il est indispensable, dans certains cas, de prendre rapidement une photographie, reconnaissons que de nombreux photographes semblent ne pas avoir souvent mis en pratique la réflexion de Frank Horvat qui affirme que la photographie est « l’art de ne pas presser sur le bouton ».

Depuis que nous sommes passés de l’argentique au numérique l’on a cru comprendre qu’il fallait pousser sur le bouton le plus souvent possible, en toutes circonstances, en tous lieux et à tout moment. Comme si l’acte photographique était un acte purement machinal. C’est oublier que la photographie est avant tout un art lié à la prise de vue qui exige souvent un instinct de l’attente et non de la précipitation.

Attente, mais aussi patience et donc refus. Avoir la patience d’attendre le bon moment, le sujet non anecdotique, la lumière que l’on souhaite. Refuser de photographier l’insignifiant ou le mille fois vu sous le même angle. Refuser de photographier, car ce que l’on voit réellement sera mille fois plus « beau » ou plus « intéressant » ou plus « juste » que sa reproduction (encore que la photographie n’est jamais la reproduction du réel !).

Se retenir de déclencher, car l’angle n’est pas le meilleur, l’expression n’est pas la plus juste, la lumière n’est pas la plus adéquate, le sujet n’est pas le plus intéressant, parce qu’on pourra toujours refaire la même photo ou simplement parce que l’on refuse l’image ressassée…

Refuser de déclencher, c’est parfois recharger sa batterie intérieure pour reconnaître enfin l’image que l’on attendait…

Cette réflexion éclairée sur l'acte de photographier est en fait une véritable théorisation de l'acte de création en général. Et il semble qu'il y a  là deux théories qui s'opposent.

Chez certains la création serait surgissement quasi magique, élan irrationnel qui depuis les tréfonds de l'âme conduirait une essence vers l'objet chargé de la matérialiser ( marbre, peinture, caractères sur la page ou photographie)

Chez d'autres l'intelligence reste aux commandes y compris de cette part de l'individu qu'on nomme talent ou génie et qui semble indicible. L'intelligence qui gère le talent et lui permet de ne pas se disperser en productions inaccomplies.

Souvent les artistes débutants ou néophytes valorisent à l'extrême l'inspiration magique boudant l'intelligence qui ne serait bonne qu'à ordonner la construction des ponts ou les équations mathématiques.

On peut cependant imaginer un usage harmonieux des deux postures à l'image de Valéry dont j'aime citer cette phrase : " Les beaux vers se murissent au lendemain de l'inspiration"

Jean-Pierre Poccioni a écrit:

On peut cependant imaginer un usage harmonieux des deux postures (...)

Personnellement je ne pourrais imaginer autre chose. Un artiste qui refuserait par principe l'une ou l'autre de ces deux approches, qui sont complémentaires, serait bien idiot.

François,

Autant le compromis est une figure satisfaisante, autant considérer qu'elle est la seule possible à qui n'est pas idiot est un peu vite dit !

Il existe des artistes pour qui la dimension conceptuelle, abstraite et dominée intellectuellement est fondamentale et leurs productions principalement en poésie, dans les arts plastiques et en musique contemporaine ( pas la musique de variété qui fonctionne sur des bases très anciennes! ) respectées et considérées.

Il existe de même un courant post-moderne de l'expression vive et spontanée  qui tente par tous les moyens de repousser le pouvoir de l'intellect un peu comme le faisaient ou tentaient de le faire certains surréalistes.

Il existe enfin des créateurs qui suivent la ligne de crête du compromis qui est comme chacun sait le chemin sur lequel  le moindre écart est une chute !

C'est vrai, c'est un peu vite dit, mais c'est pourtant le fond de ma pensée. Que ces courants de pensées existent est une chose, qu'ils soient pertinents en est une autre. J'estime que s'enfermer dans l'un comme dans l'autre ne peut que fermer des portes, alors que tout l'art de l'art est de les ouvrir.
Ou pas ?

Ce n'est pas faux mais je voulais simplement souligner que la commodité du compromis est parfois illusoire et au pire une porte ouverte sur le rien...

L'eau tiède est-elle la parfaite union de l'eau chaude et de l'eau froide, réunissant les vertus des deux extrêmes ?

Que penser d'un bain tiède ? D'un grand verre d'eau tiède ?

Cela dit nous pouvons aussi considérer que ce débat est formel et donc inutile.

Que je trouve idiots les artistes qui s'enferment dans une approche unique ne fait pas de moi un amateur de bain tiède. Avec tout mon respect, je pense que là tu intellectualises un peu trop le débat, qui de ce fait devient encore plus formel.

En fait je ne faisais que marquer mon accord (de façon appuyée certes) avec Valéry que tu citais et avec qui je pensais donc que tu étais également d'accord. T'avais-je si mal lu ?

Tu ne m'as pas mal lu du tout!

J'ai relevé la radicalité de ton point de vue plus que le point de vue lui-même et il est exact que Valery exprime un idéal...difficilement accessible.

Les plus belles photo's sont les plus spontanées, prises sur le vif.
Anticiper l'instant pris au vol comme une balle de tennis.
Choisir le moment de déclencher au moment que la bonne lumière soit bien présente, un bon cadrage, un sujet interessant.

Henri Cartier-Bresson parle d’ “une sorte de pressentiment de la vie” que doit utiliser le photographe : anticipation des événements, du placement des éléments dans l’image, choix d’une approche, d’une manière de montrer … tout cela se fait dans une sorte d’intuition qui s’aiguise sans aucun doute avec l’expérience !

Ma réflexion personnelle ne nie pas l'importance de la rapidité dans certaines circonstances, mais a pour but de mettre l'accent sur un aspect plutôt rare en photographie à l'heure actuelle : la nécessité de l'attente ou mieux du refus de la précipitation.

Enfin, j'ai tout dit dans ma réflexion sur le sujet !

Majalis, le but n'est pas de faire de belles photos, mais de bonnes photos (autre débat déjà traité).
En outre j'avais envie d'écrire en-dessous de votre définition rapide de ce qu'est une belle photographie : « Ah bon ?!!! ».

Enfin vous vous contredisez en écrivant : « Choisir le moment de déclencher au moment que la bonne lumière soit bien présente, un bon cadrage, un sujet intéressant. » On est bien dans l'attente là !!!

Bien d'accord avec Bresson.

Les deux notions sont évidemment importantes, mais le refus de la précipitation est, à mon sens, bien nécessaire dans le cas de la photographie (même si dans quelques cas il me faut aller très vite !) . Je ne parle ici que de la photographie ! Les débutants et néophytes, comme le dit Jean-Pierre, veulent souvent aller très vite !

Petite question : j'ai posté une dernière photo il y a trois jours (L'oppression). Elle est bien le résultat d'une attente assez longue. Il  y a ce cadre choisi volontairement et  assez rapidement (encore que je suis revenu à trois reprises pour quasiment le même cadrage, car la lumière ne me satisfaisait pas) et il y a l'attente de quelque chose qui devait se passer là et que je souhaitais dans une certaine mesure...).

Jipi a écrit:

Majalis, le but n'est pas de faire de belles photos, mais de bonnes photos (autre débat déjà traité).
En outre j'avais envie d'écrire en-dessous de votre définition rapide de ce qu'est une belle photographie : « Ah bon ?!!! ».

mais oui, jipi, je peux encore émettre une opinion et participer à la discussion sans pour autant être controversée à tout les coups?
Nul ne détient la vérité.
Ce que j'ai dis concernant une photo prise sur le vif, pourrais être aussi réussi qu'une photo qui necéssite "l'attente", le bon moment.

J'avoue que j'hésiterais encore à intervenir.