Petite précision sur l'expression anglophone (quelle horreur !) « page turner ». Lorsque je lis cette dénomination (appliquée à un roman par son éditeur ou certains journalistes qui font oeuvre publicitaire !), je n'achète jamais le livre en question !
Un « page turner » (expression à la mode depuis une petite dizaine d'années) désigne des livres qui se lisent très facilement : ils sont la plupart du temps mal écrits. Le but recherché est exclusivement une histoire passionnante, tellement passionnante qu'on a envie de tourner rapidement la page pour connaitre rapidement l'histoire. Lorsque l'on parle d'un « page turner », on ne fait quasiment jamais allusion à l'écriture du livre (un comble !), à ses qualités d'écriture et de structure. Un comble pour de la littérature.
Cette expression fut et est surtout appliquée à de nombreux mauvais polars dont le seul but est la facilité d'une histoire à lire en bord de plage ou de piscine. Mais des gens comme Musso et Lévy, qui ne sont pas des écrivains, écrivent aussi des « page turner » ! Je constate que, dans l'esprit des gens, il y a une réelle confusion entre « le page tuner » (déjà que le gens utilisent cette expression à tort et à travers sans en connaître réellement le sens) et le livre plus commercial ou plus populaire qui peut être parfois très bon sans être nécessairement des « page turner » (comme certains films plus commerciaux peuvent être très bons).
Je note aussi que certains page turner peuvent être bons : voir l'exemple que tu cites (ton analyse révèle bien certaines richesses du livre en question). Ces « bons » page turner, non seulement nous poussent à lire le livre rapidement, mais ne sont pas dénués d'une densité et n'utilisent pas clairement les ficelles manipulatoires. Car le page turner est bien lié à la thématique (souvent grossière) de la manipulation du lecteur. Certains auteurs le font adroitement et d'autres non.
En résumé il y a bien des livres passionnants sur le plan de l'intrigue (on a envie de tourner rapidement la page !), parfois (mais c'est rare) bien écrits que l'on pourrait appeler « page turner », mais en général, pour un amateur de littérature, le terme « page turner » est, dans mon cas, très dissuasif.
Je termine la réflexion sur le page turner et j'ajoute ceci.
Tous les livres ne doivent pas nécessairement m'émoustiller intellectuellement. Je disais souvent à mes étudiants que le roman est le plus extraordinaire moyen de connaissance de l'homme. Il n'y a pas que le côté intellectuel. Il y a aussi l'émotion, la profondeur de la psychologie et bien sûr la qualité de l'écriture/structure. Je ne prolonge plus le débat ici sur le polar (certains sont excellents et sont de la littérature très qualitative !) et sur Auster que je considère (faut-il le rappeler ?!!!) comme un brillant auteur toujours en recherche narrative.
Un des phares de ma vie est de ne rien exclure : je suis pour l'éclectisme qualitatif. Pouvoir, sans se braquer perpétuellement et sans être borné, s'intéresser à différents types de littérature, de musique, de peinture, de photographie est une force intellectuelle, mais il convient que cette force s'appuie toujours sur la recherche qualitative.