il ya longtemps que je ne vous avez pas mis une petite nouvelle
ADIEU MIROIR.- Tu es encore très belle tu sais ?
- Merci j’apprécie d’autant plus que tu ne me fais pas souvent de compliments de ce genre.
- A quoi bon puisque tu es là près de moi depuis tant d’années c’est que tu y es bien non ?
- Bien sûr.
Aliette n’était pas très en forme depuis plusieurs mois, mais elle n’en avait pas parlé à Gilles. Pourquoi l’impressionner et lui faire peur ? Ce n’était sûrement rien : un mauvais passage. Eh ! Elle n’avait plus vingt ans et s’en ressentait de plus en plus.
Comme cela est triste parfois de se dire que le plus beau est derrière soi. Que ce qui nous reste à vivre n’est que menu fretin. On espère simplement que cela se fera tranquillement et sans maladie. La souffrance est pire que la vieillesse.
Elle se leva du canapé où elle s’était installée pour tricoter quand une violente douleur au pied la fit stopper net. Ah zut ! Manquait plus que ça, une crampe aux doigts de pieds maintenant mais ce n’est pas vrai ça !
En y songeant, elle s’aperçoit qu’elle n’a plus un endroit où elle n’a pas eu mal depuis quelque temps.
- Mais madame Aliette, ce ne sont que de simples rhumatismes qui sont un signe de longue vie vous verrez ! Lui dit régulièrement son médecin quand elle « ose » se plaindre.
Pffff ! Je t’en donnerai moi des signes de longue vie, en réalité il n’y avait pas une journée sans qu’elle ne se plaigne d’un bobo ici ou là. Elle devenait pire que sa mère qui était partie l’an dernier à 90 ans. Elle avait l’excuse de l’age elle au moins, mais Aliette n’avait que 65 ans. Le bel âge on vit tellement vieux disent les médias que l’on se croit encore jeunes à 65 ans c’est eux qui le disent car le corps, lui, n’est pas d’accord, et il se rebiffe !
Comme aujourd’hui par exemple.
Bon, pensa-t-elle en se parlant tout haut, pas la peine d’aller essayer de faire du jardin aujourd’hui, je n’ai pas envie de me bloquer quelque chose encore. Tiens je vais m’asseoir bien droite dans le fauteuil de ma chambre, c’est encore là que je suis le mieux quand mes reins me font souffrir et je vais regarder mes photos.
Il pleut dehors, le temps est maussade, je n’ai pas le moral : toutes les conditions sont réunies pour avoir un brin de nostalgie en retournant en arrière. Au point où j’en suis côté moral allons-y !
En montant à l’étage chercher son grand carton, elle se sentait déjà beaucoup mieux. En fait, elle adorait se replonger dans son passé. Les photos parlent mieux qu’un grand discours et elle en avait des centaines.
Au bout d’une demi-heure, elle était en larmes : le remède était pire que le mal.
Elle avait mis de côté les photos de bébés, mais elle n’avait pas pu résister à s’imprégner de celles qui la présentaient adolescente, puis jeune femme, puis mère, puis… jusqu’à aujourd’hui, le foulard sur la tête cachant ses cheveux blancs qu’elle refusait de colorer : Non non ! J’assume, pourquoi cacher la vérité se plaisait-elle à répéter mais de moins en moins souvent, il faut bien l’avouer.
En regardant cette jeune fille de vingt ans, les cheveux si blonds, les yeux si bleus, si lumineux et ce sourire tellement joyeux, elle ne put s’empêcher de se dire : Mon Dieu, comme l’on peut changer, inexorablement, presque sans s’en rendre compte !
Ce qui la déprimait le plus, quand elle faisait ce retour en arrière était sa silhouette. Comment peut-on prendre vingt kilos en travaillant et courant tout le temps ?
Ecoeurée, elle remit les photos dans le carton et se rendit à la salle de bains pour se rafraîchir les yeux.
Et là, devant son miroir, ses larmes revinrent, elles coulaient le long de ses joues sans qu’elle ne fasse un mouvement pour les essuyer.
Mais que suis-je devenue ? Les paupières abîmées par des dizaines de sillons, les lèvres pincées qui faisaient ressortir toutes les rides d’expression. Elle découvrait aussi que son cou se fripait, s’épaississait. Rides d’expression ? Quelle belle appellation pour simplement vouloir dire, les marques du temps : la vieillesse pourquoi ne pas dire le mot : des signes de vieillesse !
Elle répétait le mot plusieurs fois tout bas comme pour s’en imprégner : je suis vieille, je vieillis, je ne suis plus jeune, je suis atteinte par une maladie incurable : la vieillesse !
Il y a quelques années, l’idée lui était venue de se faire « lifter » elle devait avoir une quarantaine d’années et ses copines de travail en parlait beaucoup. Mais bien sûr, elle ne l’avait pas fait, car elle se trouvait très bien et répétait qu’elle souhaitait à toutes les femmes de son âge d’être aussi bien « conservées » qu’elle. Prétentieuse, proche de sa silhouette qu’elle avait tout à fait satisfaisante, elle continuait son chemin tranquillement, en se disant qu’elle était encore une très jolie femme désirable de surcroît.
Oui mais il y avait vingt ans de cela même plus, et depuis, elle avait pensé à s’occuper de son travail extérieur, de sa maison, de recevoir les enfants, de faire du jardin et… très peu de son apparence…jusqu’à aujourd’hui.
- Aliette !!! Où es-tu ?
-Dans la salle de bains…
- Mais qu’est ce que tu y fiches ? Ça fait deux heures que je t’appelle.
- Je regarde les coups de canifs que le temps me fait en traître dans le visage et dans mon corps.
- Ah ces bonnes femmes ! Mais tu n’as plu à plaire !
Elle ne répondit pas, mais entre ses dents murmura : quelle connerie, c’est tout ce qu’il a trouvé pour me remonter le moral ?
Cette réflexion idiote et blessante, lui fit l’effet d’un coup de fouet : et si elle lui démontrait à cet abruti de Gilles qu’elle pouvait encore plaire à d’autres ?
Oui mais à qui ?
Elle se souvint d’Alain, fringant jeune homme de trente ans à peine qui venait parfois quand les enfants étaient là. Il était l’ami de leur fils Antoine. Pas marié, papillonnant un peu partout et surtout se disant sans attache d’aucune sorte.
Aliette le considérait comme un gamin bien sûr et ne le regardait même pas, se contentant d’écouter ses histoires de filles qu’il se faisait un plaisir de raconter surtout à Antoine qui l’écoutait, avec quand même un léger air envieux. Forcément lui pataugeait avec deux enfants et une femme toujours souffreteuse, et il y avait longtemps que les sorties pour rencontrer des filles, ou simplement avec des copains, avaient été remisées dans un coin de sa tête, pour lui servir de souvenirs heureux plus tard quand lui aussi se sentira vieillir.
Elle était donc en train de penser à Alain, quand elle entendit Gilles lui demander d’entrer un moment boire un verre.
Vite, elle se passa la main dans les cheveux et vint dans la cuisine. Soudain, elle se rendit compte qu’elle ne le regardait plus de la même façon : plus comme l’ami de leur fils mais comme un amant possible. Pourquoi pas ? Rien que pour se rassurer, rien que pour se dire qu’elle pouvait encore attirer un homme plus jeune qu’elle et qui sait, lui donner et prendre du plaisir.
- Bonjour Alain…
- Bonjour Madame Aliette…
Ah oui ! Ca, elle avait oublié ! Il la vouvoyait et l’appelait madame Aliette, quelle horreur ! Pas très facile pour créer des liens intimes.
- Dis-moi Alain, cela te fait quel âge maintenant ?
- Trente ans, enfin presque 31, mais je n’aime pas me vieillir.
- Tu as raison, le temps s’en charge et passe suffisamment vite sans qu’on le pousse !
- Et vous Madame Aliette ? Sans indiscrétion ?
- Oh moi !
- Allez ne faites pas la timide, je suis sûre que vous êtes plus jeune que ma mère
Quelle horreur ! pensa Aliette, que de phrases maladroites !
- Je ne sais pas, quel âge a donc ta mère ?
- Soixante quatre…
- Ah non, c’est moi la plus ancienne alors, mais de peu un an tout au plus.
- Franchement, vous ne les faites pas, Gilles a de la chance, sourit-il d’un air presque coquin.
Gilles était sorti en disant qu’il serait de retour dans une demi heure, car le voisin avait besoin d’un coup de mains pour rentrer du bois.
- Oh tu sais, peut-être que je ne fais pas mon âge, mais les ans sont là hélas !
- Pourquoi hélas ? Vous êtes encore très bien vous savez.
- Oui merci, mais tu sais pour une femme, s’entendre dire par un jeune homme de trente ans, que l’on a l’âge de sa mère, c’est toujours un coup à notre fierté tout ça !
- Que voulez-vous entendre, madame Aliette ? Que vous êtes très jolie ? bien faite, et que j’ai envie de faire l’amour avec vous ? dit-il dans un éclat de rire !
Oh ! Ce rire qui glace, qui fait mal, qui déchire ! Oh comme parfois les mots simples font souffrir !
-Non non bien évidemment…
- En plus vous êtes la grand-mère de Lorie, la petite fille d’Antoine, mon ami. On plaisante là, et on en rira dans quelques jours quand on en parlera tous ensemble.
- Mais il n’est pas question que cette conversation que nous avons soit racontée, tu peux le comprendre non ?
- Oui, certes, mais moi je n’ai pas envie d’engager un débat là- dessus. Simplement madame Aliette, il faut vous faire une raison : continuez à faire des tartes aux pommes et laissez l’amour aux jeunes femmes, non ? Vous ne trouvez pas qu’il est temps de remettre les pendules à l’heure dans votre tête ? Allons ne me regardez pas comme ça je ne veux pas vous froisser, mais vous faire comprendre que vous perdez la raison, si vous avez pu penser un instant qu’un homme de mon âge pourrait avoir envie de vous en tant que maîtresse. Vous avez eu vos moments de plénitude, alors laissez-vous vivre tranquille, car vous savez l’amour fait souffrir parfois même un jeune homme de trente ans, surtout un jeune homme de trente ans !
- Va-t-en !
- Ah ! D’accord !vous me jetez parce que je ne veux pas vous « baiser » elle est bonne celle-là ! Mais vous vous êtes regardée ?
- Oui Alain, justement je me suis vue à travers ton regard, il est plus parlant qu’un miroir, allez va-t-en, la vieille te salue bien.
Sur ce, elle lui prit le bras, le serra fort et le raccompagna jusqu’à la porte, et là se dressant sur la pointe des pieds, elle l’embrassa à pleine bouche et le poussa violemment dehors.
Elle était oppressée et à bout de souffle. Elle s’arrêta devant la grande armoire dans le vestibule et fit face à la glace centrale.
Le front posé contre le miroir, elle murmura : tu as vu jour après jour mon visage se flétrir, s’abîmer, mon corps s’affaisser mais c’est fini, ma décision est prise : tu ne me verras plus jamais.
Et croyant rêver, elle entendit le miroir lui répondre :
- Et moi ? Je deviens quoi dans tout cela ? Je patine et vieillis avec toi, mais tu es trop occupée à TE regarder et tu ne vois pas les tâches brunâtres qui assombrissent ma clarté, tu ne vois pas que mon tain s’abîme, tu ne penses qu’à tes rides quand tu te mets face à moi, sale égoïste que tu es… un jour tu me mettras à la poubelle et me remplacera par un tout beau, tout rutilant. Mais dis-toi bien qu’il sera intraitable, pas conciliant, pas vieux. Il te montrera même cette petite ridule nouvelle que tu as près des lèvres. Moi je la voyais mais je faisais en sorte que toi tu ne la voies pas.
Instinctivement Aliette se tâta le tour des lèvres…. Sa décision était prise, le temps ne la rattrapera jamais.
Elle va partir, laissant sa vie derrière elle, sans remords, sans regrets non plus. Elle avait joui de la vie, jouit de tout le bonheur de ce temps qui passait. Elle allait en finir, son flacon préparé depuis des mois l’attendait, sous la pile de draps.
Elle caressa le grand miroir, ouvrit la porte, ce qui le cacha complètement et lui dit doucement :
Non je ne refermerai pas cette porte, tu ne me verras pas mourir….je te dois bien cela…
FIN