Des yeux du même noir
Absorbé en lui. Toute cette plénitude et ce vent d’été qui le réchauffait. Cette nuit là il voulait que la Lune soit pleine comme si c’eut été une seconde Terre. Il rêvait à cela. Des extraterrestres qui dormiraient dans des maisons en pierres de lune et qui croqueraient la Lune jusqu’à en faire un croissant.
Lorsque chaque jour renaissait ses yeux se sentaient attaqués par une multitude d’images colorées et se perdaient dans la foule des indifférents. La nuit sombre recouvrait ses peurs. Une nuée de fauvettes traversait le vent et frôlait la nébulosité, petite tâche grise au milieu du ciel. Aucunement impureté. Juste un léger voile qui berçait de ses bras de coton une pluie prochaine. Cette pluie qu’il attendait depuis longtemps. Il souhaitait que l’eau ruisselle, transperce ses vêtements, le rafraîchisse de la tête aux pieds. Les herbes seraient moins sèches et des perles de rosée orneraient les fleurs. Les fauvettes s’étaient déposées sur leur nid. Le sommeil commençait à se propager parmi les animaux diurnes tandis que les chauves souris se réveillaient. Il se recroquevilla dans l’herbe tendre. Les yeux vers l’infini il se mit à compter les étoiles et à se chanter une berceuse.
Un soir il m’a dit souffle, souffle sur la fleur porte bonheur
Tes vœux sont doux et dansent dans le vent
Cela me fait penser à des plumes qu’un oiseau aurait perdues comme un message venant du ciel Elles se déposent en tas sur la terre
Des pétales cotonneuses en guise d’oreiller
C’était ton vœu je crois.
Ses yeux noirs comme la nuit se fermèrent tout doucement. Il pensa à son grand père qui le bordait autrefois et cette berceuse qui l’accompagnait toujours. Sa poitrine se soulevait puis s’abaissait. Cela fit peur à un papillon qui s’était posé sur lui. Le garçon frissonna. Le vent soufflait fort et ses cheveux s’affolaient. Mais le vent se calma très vite et le gamin s’endormit. Il fit un rêve entrecoupé d’autres rêves. Des créatures mi-humaines mi-fantômes à l’allure magique peuplaient toujours ses rêves, là ils étaient entourés d’herbes folles, des herbes qui s’élevaient jusqu’au ciel, qui gommaient le bleu du ciel et des oiseaux par milliers se frayaient un chemin parmi elles. Il offrait un nid aux oiseaux en ouvrant les paumes de ses mains.
Ses paupières s’entrouvrirent car il ne peut y avoir de silence dans la nuit. Ceux qui pensent le contraire se trompent. Le bourdonnement des abeilles, les battements d’ailes, les sifflements, le coucou des hiboux... Tous ces bruits l’interpellaient. Ils les sentaient même. Il aurait pu leur répondre en claquant des doigts, en tapant des mains, en improvisant une mélodie mais il se faisait de plus en plus tard et la nuit coulait sur lui. L’eau du lac était noir pétrole. Il régnait un calme absolu sur l’eau. On ne voyait plus les saletés qui flottaient sur le lac le jour. On voyait des étoiles. Elles étaient projetées dans l’eau comme si quelqu’un les avaient jetées là. Elles étaient semblables aux trésors des fonds des océans qui hantent les pirates, telles des poissons étincelants que personne n’oserait pêcher.
Cet endroit ressemblait à L’Eden. Un petit garçon s’y trouvait. Il ne se prénommait pas Adam et il n’était pas blanc. Il était noir de nuit. Il avait quitté son lit douillet sans que sa mère ne le remarque. Il s’était caché dans la nuit, les secrets y sont s’y bien gardés, et avait marché à pas de loup jusqu’à son jardin puis il l’avait traversé et il était allé au-delà. Là où il retrouvait un peu de son grand-père. Il avait les mêmes yeux que lui, des yeux noir de jais. C’est lui qui lui avait enseigné l’art de l’observation. Il lui avait appris à repérer la Grande Ourse et la Petite Ourse et à déchiffrer les chants des oiseaux. Il lui avait fait sentir les doux parfums des fleurs. Il parlait comme un poète son grand-père, il parlait bizarrement et c’est ça qu’il aimait le plus chez lui. Il lui disait « la nuit tout semble immortel parce que tout est si profond, parce que les réponses à nos questions naissent dans nos rêves, parce que les étoiles nous font réfléchir à l’univers ». Les paroles de son grand père le frappaient en plein cœur. « Pourquoi hisse-t-on un drapeau blanc pour réclamer la paix quand il suffit d’attendre que le rideau noir de la nuit tombe sur la ville ? La nuit est un moment de paix. Les fusils tombent des mains, Les guerres s’arrêtent. On reprend des forces et des espoirs »
Oui, son grand père avait raison. Tout était parfait en cet instant. Personne ne pouvait lui faire du mal. Sa mère ne pouvait pas le frapper comme elle le faisait le jour. Son oncle ne pouvait pas l’insulter. La nuit le faisait taire.
Quand il percevait une lueur bien trop forte dans le ciel, il sentait toujours ses yeux devenir humides. Le jour allait se lever, le soleil cesserait d’être noir, alors il attrapait des brins d’herbes. Il les serrait très fort. Il souhaitait que l’énergie de la Terre, de la vie entre en lui. Il voulait sentir en lui une force incroyable, une force qui l’aiderait à affronter le jour. Il aimerait presque que la nature l’engloutisse. Il deviendrait un arbre que le lierre enlacera. Ses mains seraient semblables à des feuilles et ses jambes à des racines. Ses entailles deviendraient ses écorces.
Elle regardait le ciel s’assombrir. Les nuages cachaient la lune et quelques gouttes de pluie tombaient sur les toits des maisonnettes. Elle ouvrit sa fenêtre et elle tendit les mains. L’eau coulait sur les lignes de ses mains. Il pleuvait de plus en plus fort. Elle se rappelait les nuits où elle allait à l’église. Elle y venait quand l’immensité du ciel lui évoquait la foi. Vu de l’extérieur l’église tombait en miette et à l’intérieur un minuscule crucifix en or était accroché au mur, et des vitraux représentaient des Saints. Elle aimait bien les contempler. La nuit aucune lumière ne les traversait et cela la troublait. Elle pliait les genoux et cachait sa tête entre ses mains et elle priait, elle priait que son père revienne, quelle puisse un jour quitter ce village où tout le monde connait tout le monde, où personne ne connait personne, où tout est trop petit quand on voudrait être quelqu’un et faire des rencontres.
Ses paupières étaient lourdes. Pourquoi n’acceptait-elle pas que la nuit s’empare d’elle ? N’aimait-elle pas rêver ? On ne pouvait pas dire qu’elle était trop grande pour les rêveries. Des rêves, elles en avaient tellement. Elle se recroquevillait sur ses rêves pour les retenir prisonniers. Elle savait que les yeux fermés sont une protection contre la réalité.
Elle écoutait le bruit du vent contre sa vitre. Ce n’était que le vent pourtant elle avait peur. Ridicule d’avoir peur à quinze ans. Elle souriait pour se rassurer. Un sourire en forme de croissant de lune. Des questions venaient à elle mais seulement des questions, pas des réponses. Un escargot à moitié collé à sa fenêtre l’interpella. La nuit endort notre esprit, les questions se font de plus en plus saugrenues pensait-elle. J’ai commencé à me demander qui était mon père et me voilà fascinée par des antennes d’escargot dont je voudrais connaitre la consistance, il faut vraiment que je dorme !
Seulement Julia était toujours en alerte, toujours en train de flairer le danger.
Des questions se bousculaient dans sa tête. A quoi bon jeter toutes les bouteilles d’alcool pour en trouver des nouvelles dans les placards ? Les questions semblaient être inscrites sur les murs de sa chambre. Pourquoi me laisse-t-elle les jeter ? Elles se faufilaient pour glisser jusqu’à son cœur. Pourquoi ne me parle-t-elle pas ? Elle me laisse faire, elle ne me frappe même pas. Elle sait que je suis grande, que je peux me défendre contre elle.
Ses questions restaient toujours en elle. Les dernières gouttes d’eau tombaient des arbres. A cet instant les saules pleureurs portaient bien leur nom. Julia escalada la fenêtre avec peine. Elle prit une inspiration avant de sauter dans une flaque d’eau. Elle se promena dans le jardin. Le bas de son pyjama trainait par terre et devint vite marron à cause de la boue. Julia s’assit sur un tas de feuille. Elle regarda autour d’elle. Personne. La nuit et la pluie lui brouillaient la vue. La trajectoire de la pluie l’hypnotisait. Une voix lui murmurait au creux de l’oreille :
« Où veux-tu aller Julia ? Que veux-tu faire de ta vie ? »
Ce moment n’appartenait qu’à elle et il semblait durer éternellement. Elle ne sentait même plus les gouttes de pluie mourir sur elle. Elle voulait chasser ces questions, qui comme des mouches bourdonnaient à son oreille. Elle souhaitait enfermer son cœur dans un coffre fort. Elle aimerait que rien ne puisse l’atteindre. Sa respiration se faisait de plus en plus faible mais les battements de son cœur cognaient sa poitrine. Le froid la calmait, cependant et le vent lui caressait la peau. Elle regardait au loin, droit devant elle.
Elle n’aurait jamais imaginé que son frère, Noé, puisse être au milieu des bois, tel un ours en train d’hiberner, blotti dans son petit cocon de feuilles parfumées par les pluies diluviennes.
Il a fugué le petit con mais bizarrement, à le regarder, il semble plus être chez lui dans les bois que dans sa maison On dirait un enfant abandonné. Faut-il qu’il soit seul dans de sombres bois pour s’en apercevoir ?
Si elle le savait là bas, Julia s’enfoncerait dans les bois pour le rejoindre. Elle s’allongerait près de lui, mettrait ses mains dans ses boucles brunes et elle réajusterait sa couverture. Elle lui dirait :
- « Tu crois que je ne me préoccupe pas de toi parce que je te parle peu mais sans cesse mes yeux sont rivés sur toi, j’ai tout le temps peur pour toi. »
Les premiers rayons du soleil traversaient la forêt. Les étoiles même pâles étaient encore distinctes. Elles brillaient d’une lumière nostalgique. Les feuilles tombaient des arbres, recouvrant Noé. Julia au moment de fermer les yeux eut comme une hallucination. Elle avait confondu les feuilles avec des plumes. Elle plongea dans un sommeil profond. Elle rêva que quelqu’un la prenne par la main, que son frère lui fasse part de son amour pour la forêt, son lieu secret où il se sent apaisé, où il ne broie pas de la lumière.
On va habiter tout en haut d’une cabane pour pouvoir frôler les étoiles, puis nous naviguerons sur une barque, nous pagaierons avec les mains même si cela doit nous essouffler. Nous nous prouverons à nous-mêmes, nous existerons. Et si l’eau vient à nous noyer, Noé si tu sens l’apocalypse frémir, préviens moi, je n’aurais pas peur puisque tu es près de moi. Nous aurons un carnet de bord dans lequel seront inscrites toutes nos aventures. Il n’y aura jamais assez de pages pour contenir tout ce que nous avons à dire alors nous laisserons un peu de nous sur le tronc des arbres, sur les nuages et la pluie. Un jour des gens découvriront notre livre. Ils sauront que nos sanglots seront éternels, que nous avons les yeux du même noir. Notre voyage écrit en lettre de feu fera rougir les joues de notre père, il saura qu’il est dans nos pensées, qu’on le déteste parfois, que comme des loups garous nous hurlons à la lune. Plus les pages se rempliront d’encre, plus elles s’embraseront. Le papier roussi par les flammes noircira aux dernières pages. Un noir ébène, absolu. Et la fumée montera jusqu’au ciel.