C’était au printemps ; nous nous promenions dans la roseraie, Didier, Nadine, François, et moi. On n’entendait que les crrr-crrr de nos pas sur le gravier et le bruissements des petites feuilles des peupliers qui bordaient la rivière. Didier et la vieille avaient un peu d’avance sur nous. Derrière, François traînassait, les mains dans les poches et glaviotant toutes les vingt secondes comme ces mal élevés de Belleville.
Je ne comprenais pas pourquoi il faisait la tête. Tout allait pourtant bien. Voilà une semaine à peine que nous séjournions chez Nadine et mon eczéma des coudes avait pratiquement disparu. Une semaine à bambocher, une semaine de flemmardise décomplexée, et lui, lui, François, ne savait rien faire d’autre qu’expulser de longues dégoulinades noires polluant les jardins et ma bonne humeur.
- Bon, quoi ? lui dis-je.
- Je vous demande pardon ?
- Il fait beau, nous sommes nourris-logés à titre gratuit dans un cadre merveilleux, et vous… au lieu de profiter vous jouez le triste merle. Qu’avez-vous donc à la fin ? Ai-je dit ou fait quelque chose ?
- Nnh.
- Eh bien quoi ?
- C’est à cause de Nadine dit-il en pointant le menton en direction de la vieille. Avez-vous remarqué ? De retour de vadrouille, elle laisse systématiquement traîner une partie de ses effets dans la boue. Tantôt un foulard, tantôt un gilet… Et jamais elle ne s’en rend compte.
- Et alors ?
- Ça me chiffonne.
- Il ne vous en faut pas beaucoup.
- C’est déjà assez.
- Assez de quoi ?
- Maquillage, toilettes… Cela n’est qu’illusion. Mais cette tache de boue, elle, est bien réelle. Et vous ne la voyez pas. Personne ne voit la marque.
- Je vois une vieille dame soignée, digne et pétillante, qui aime la compagnie des fleurs. De quelle marque parlez-vous ?
- C’est comme si la vieillesse, malicieusement, déjouait les artifices. Comme s’il était impossible d’échapper à sa souillure. On camoufle, on triche, mais la tache sera toujours là. Il suffit d’observer. Vous n’imaginez pas combien est sombre le monde que me montrent mes yeux. De cette dame pimpante, ils ne remarquent que la tache. La cachet de la mort. Celui qui marque son troupeau. On ne trompe la mort en se guirlandant. Elle est trop maligne. La réalité est là, mon ami. Dans cette étole hors de prix traînée dans la boue par un esprit fatigué.
- Les barbituriques vous rendent bien étrange, François. Attention… vous feriez bien d’arrêter.
- Vous refusez d’admettre que la mort est à sa place ici. Nadine, Didier, vous, moi, les, beaux jours, ne dureront pourtant pas. Et nous n’y pouvons rien. Alors, s’il vous plaît, cessez de sourire pour ces quatre fleurs.
Devant, Didier se retourna :
- Je sens des gouttes… Que diriez-vous d’un jacquet ?