A partir d'un poème de Baudelaire.
La servante au grand cœur dont vous étiez jalouse,
Et qui dort son sommeil sous une humble pelouse,
Nous devrions pourtant lui porter quelques fleurs.
Les morts, les pauvres morts, ont de grandes douleurs,
Et quand octobre souffle, émondeur des vieux arbres,
Son vent mélancolique à l'entour de leurs marbres,
Certes, ils doivent trouver les vivants bien ingrats,
A dormir, comme ils font, chaudement dans leurs draps,
Tandis que, dévorés de noires songeries,
Sans compagnon de lit, sans bonnes causeries,
Vieux squelettes gelés travaillés par le ver,
Ils sentent s'égoutter les neiges de l'hiver
Et le siècle couler, sans qu'amis ni famille
Remplacent les lambeaux qui pendent à leur grille.
Lorsque la bûche siffle et chante, si le soir,
Calme, dans le fauteuil je la voyais s'asseoir,
Si, par une nuit bleue et froide de décembre,
Je la trouvais tapie en un coin de ma chambre,
Grave, et venant du fond de son lit éternel
Couver l'enfant grandi de son oeil maternel,
Que pourrais-je répondre à cette âme pieuse,
Voyant tomber des pleurs de sa paupière creuse?
Charles Baudelaire
La métonymie, la synecdoque, qui en est une variante, et la métaphore, sont d'un emploi si courant, non seulement en littérature mais dans le langage de chaque jour, que nous les utilisons sans même le savoir. Nous usons, pour inviter un ami à boire un verre, d'une métonymie. Ce n'est pas le verre, en effet, qu'il avalera, mais son contenu. Lui proposons-nous un Bourgogne ? Métonymie. Nous ne lui offrons pas la région, mais le vin qui en provient. Peut-être préférera-t-il une mousse avant d'aller "se faire" une toile ? Une mousse, c'est-à-dire la partie pour le tout (une bière), serait plutôt à cause de cela, une synecdoque; Quant à la toile, c'est la matière dont est fait, en principe, l 'écran.
La métaphore, elle, est une comparaison en raccourci, une comparaison dans laquelle un (parfois deux) des trois termes a été supprimé.
Ces figures de style, ces tropes, enrichissent considérablement le texte littéraire et tout singulièrement la poésie. Elles permettent de varier l'expression mais ce n'est pas là l'essentiel de leur intérêt. Une réalité, un objet, offrent un nombre plus ou moins important de connotations. Le terme employé pour désigner l'objet désignera en même temps que lui certains de ses attributs, ce qui permettra de choisir l'un ou l'autre pour adapter l'objet à un contexte.
Dans son poème " La servante au grand coeur", Baudelaire désigne à quatre reprises la tombe au moyen des expressions suivantes : "une humble pelouse", "leurs marbres", "leur grille", "son lit éternel".
L'humble pelouse. La pelouse pour la tombe, c'est-à-dire la partie pour le tout, une synecdoque. La pelouse ? Rien de morbide. La pelouse, c'est l'étendue d'herbe, verte et reposante, qui appartient plus encore au monde des vivants qu'au monde des morts. On s'y promène, on s'y allonge, on la foule agéablement. Elle est synonyme de tranquillité, d'apaisement, C'est qu'elle renvoie ici à une époque heureuse pour Baudelaire, l'époque de Neuilly où il avait encore tout à lui sa mère et la servante Mariette qu'il aimait tant. Humble serait presque pléonastique (humilis,proche du sol) s'il ne qualifiait surtout Mariette.
Mais de Mariette qui appartient aux souvenirs heureux, Baudelaire passe aux morts, à tous les morts. Non seulement celle qu'il connaît et dont il se souvient, mais à ce que nous serons tous un jour. C'est pourquoi le marbre va désigner à présent la tombe. Partie pour le tout ? Synecdoque. Mais aussi matière pour l'objet, métonymie. La frontière n'est pas toujours distincte. Le marbre ? Le marbre est dur et froid. Mais c'est le froid qui s'impose ici, dans le contexte, ce froid que Baudelaire redoutait tant. Le froid, c'est la mort.( Dans un autre contexte, le marbre aurait pu évoquer la beauté plastique, l'indifférence, la perfection...) Le froid de la mort qu'il oppose à la chaleur de la vie.
Puis la tombe, c'est "la grille". Synecdoque (une partie du tout). La grille, ce sont les barreaux, symbole d'enfermement. La grille, c'est ici la prison d'où l'on ne s'échappe pas. La prison humide et glacée (hantise de Baudelaire) pour l'éternité.
C'est enfin le "lit éternel." Métaphore, ici, car il y a comparaison abrégée. Mariette, nous sommes revenus à elle, est allongée dans sa tombe comme les vivants sont allongés dans leur lit. C'est aussi dans une chambre qu'elle rejoint celui qui parle. Mais ce n'est pas le lit qui est éternel, c'est le sommeil qu'il symbolise, celui dont nous ne nous réveillerons jamais.
C'est ainsi que, pour varier l'expression, affermir l'idée, amplifier l'émotion, la tombe est devenue successivement, selon le contexte, la pelouse, le marbre, la grille et enfin le lit.
Callinira