Avertissement: les faits mentionnés ou les images insérées dans cet article peuvent choquer les âmes sensibles. Poursuivez votre lecture, ou pas, en connaissance de cause. Un lexique est à votre disposition à la fin de cette étude.
Cabinet de curiosités (XVIIe siècle), anonyme, huile sur toile
La mort est utile. Les morts ont toujours été utilisés à des fins argumentatives. Il s’est toujours agi de persuader auditeurs ou spectateurs du bien fondé de certaines thèses. L’intention peut être religieuse, politique, scientifique ou esthétique.
Ce sont les Danses macabres du Moyen Age, faites pour ramener dans le giron de l’Eglise les pécheurs égarés. On peut évoquer aussi l’iconographie liée aux grandes pestes, comme la peinture de Antoine-Jean Gros (1771-1835),
Bonaparte visitant les pestiférés de Jaffa, 11 mars 1799, tout à la gloire du général en chef de l’armée d’Orient. Certains estiment que la mort peut être utile à l’accroissement des connaissances scientifiques. D’autres enfin considèrent que la mort peut se faire objet d’art.
Il y a beaucoup à dire concernant la mort, tellement occultée dans nos sociétés. Pourtant, il ne sera pas question ici de problématiques religieuses ou politiques. Nous n’évoquerons pas non plus l’utilisation qui a pu être faite de la mort dans les œuvres littéraires ou de fiction. Nous nous en tiendrons à des faits réels, bien éloignés des (mes)aventures du mythique docteur Frankenstein.
Certains individus ont en effet, sous prétexte d’accroître leurs connaissances ou plus sûrement leurs revenus, scandaleusement joué avec les morts. Leurs prétentions « scientifiques » ou « artistiques » doivent être dénoncées.
Le Cavalier de l'Apocalypse (inspiré par Dürer), musée Fragonard
Evoquons, pour commencer, Honoré Fragonard (1732-1799). C’est un chirurgien et anatomiste français, cousin germain du célèbre peintre Jean-Honoré Fragonard (1732-1806). Il est fameux pour ses écorchés, conservés dans le musée Fragonard à l’École nationale vétérinaire d'Alfort.
L’Homme à la mandibule, musée Fragonard
Vingt-et-un de ses écorchés ont pu parvenir jusqu'à notre époque, après bien des aléas et des destructions, notamment lors de la Révolution. Cela a été rendu possible par une de ses innovations. Fragonard avait en effet inventé une nouvelle méthode pour conserver les cadavres, très efficace.
Fœtus dansants, musée Fragonard
Directeur de l’Ecole vétérinaire d’Alfort (aujourd’hui Maisons-Alfort), Il y exposait ses écorchés, en choisissant de leur faire prendre des poses grotesques ou dramatiques. Les animaux étaient partie prenante de ses travaux.
Ecorché d’un cheval, musée Fragonard
Fragonard fournissait également de ses multiples pièces les « cabinets de curiosités » des aristocrates friands de nouveautés « scientifiques ». Ce souci de pédagogie et d’esthétique morbide était courant à l’époque. Le musée de
La Specola à Florence, par exemple, propose de nombreuses pièces en cire d’époque qui proposent toutes d’instruire en divertissant ou en séduisant.
Vénus anatomique, atelier de La Specola, 1784-1788
Qu’est-ce que le Musée de
La Specola ? C'est le plus ancien musée scientifique d'Europe. Ses collections proposent des cires anatomiques humaines de Clemente Susini (1754–1814) ou des dioramas réalisés en cire également de Gaetano Zumbo (1656-1701).
La période contemporaine, quant à elle, offre des exemples de réalisations très contestables elles aussi. Pensons tout d’abord à Damien Hirst.
Damien Hirst, né en 1965
Damien Hirst est un artiste britannique. Il présente ses œuvres morbides comme un moyen de nous rappeler que nous sommes mortels. Mais certains le voient davantage comme un homme d'affaires richissime. Une de ses dernières productions, en particulier, semble frôler la provocation : « Une tête de vache sectionnée et sanglante, déposée sur le sol, attire des centaines de mouches, dans une cage de verre. Les mouches naissent dans un nid, à même la cage, et meurent pour la plupart électrocutées, sur une lampe bleutée. » Marc Cassivi présente ainsi A Thousand Years dans La Presse.
A Thousand Years, Damien Hirst, 1990
Cette inspiration macabre se retrouve dans diverses réalisations du « Maître » présentant des animaux, entiers ou coupés en morceaux et conservés dans le formol :
Le bon docteur von Hagens, médecin anatomiste allemand né en 1945, n’est pas en reste. Il expose ses œuvres « plastinées » aux quatre coins du monde depuis 1995. A cette époque, il lance une nouvelle méthode de conservation des cadavres (lui aussi !) : la « plastination ». Il s’agit de remplacer tous les liquides organiques par du silicone et de la résine.
La première exposition de ses œuvres a lieu au Japon. Elle présente des cadavres en mouvement : sportifs, musiciens ou danseurs en plein élan, il y en a pour tous les goûts. On trouve aussi des pirates ou des joueurs d’échecs ! Cette mise en scène macabre respecte bien peu ces corps qui ont été des personnes. L’artiste pose parfois avec ses créations, donnant l’impression de beaucoup s’amuser. Il est certain que l’argent coule à flots et que ses expositions, comme celles de Damien Hirst, attirent les foules.
On peut se demander toutefois quelle est la provenance de tous ces écorchés. Par ailleurs, a-t-on le droit d’utiliser des êtres humains décédés à des fins commerciales ? Le bon docteur von Hagens ne se pose pas toutes ces questions.
Pour aller plus loin :
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]Lexique:
Ecorché : en médecine ou en anatomie artistique, un écorché est une planche anatomique dessinée ou peinte, ou encore une sculpture, représentant une partie ou l'ensemble du corps d'un être vivant. L'écorché représente classiquement de façon morphologique des parties anatomiques situées sous la peau.
Cabinet de curiosités : un cabinet de curiosités était un lieu où étaient entreposés et exposés des objets collectionnés, avec un certain goût pour l'hétéroclisme et l'inédit. On y trouvait couramment des médailles, des antiquités, des objets d'histoire naturelle (comme des animaux empaillés, des insectes séchés, des coquillages, des squelettes, des carapaces, des herbiers, des fossiles) ou des œuvres d'art. Nombreux dans l’aristocratie aux XVIIe et XVIIIe siècles, ils ont été remplacés par la suite progressivement par les musées nationaux
Diorama : le diorama est un système de présentation par mise en situation ou mise en scène d'un modèle d'exposition, le faisant apparaître dans son environnement habituel. C'est un mode de reconstitution d'une scène en volume.
Rushkild