J'ai enfin terminé ce roman vivement recommandé par Jean-Pierre Poccioni et qui m'a été offert par François. Quel parcours !
Que dire ? D'abord qu'il faut du temps pour le lire et ce n'est pas un reproche. Il est gros et les livres très épais me rebutent de plus en plus. C'est comme cela. Je n'y peux rien. La vieillesse qui se pointe ? Je n'en sais rien. J'écris d'une traite pour exprimer mon admiration pour ce roman que je trouve excellent à plus d'un titre et ce malgré quelques longueurs ou répétitions d'ambiance qui me semblaient pas vraiment nécessaires. Je sais que si je dis cela l'on va me reprocher de ne pas avoir pu apprécier certains passages. Peut-être, mais l'essentiel est que, avec du recul, je trouve ce roman excellent.
Il faut du recul pour apprécier ce roman et prendre le temps qu'il distille ses saveurs au fond de votre esprit. Comme un grand vin peut-être. Ce livre symbolise parfaitement à mes yeux la sensualité. Celle de trois grands adolescents (deux garçons et deux filles) qui se retrouvent isolés au milieu d'une île et occupant la maison d'un oncle de l'un des leurs. Sensualité à la fois douce, mélancolique, pleine d'attentes, de désirs, de déceptions et surtout de sous-entendus. On dit tout et on ne dit rien dans ce roman. On désire, mais l'on a peur de désirer. On aime sensuellement et sans doute psychologiquement, mais les mots ne viennent pas, car les corps devancent les mots ou les mots tus sont parfois plus forts que les parole proférées. L'auteur aime le non-dit, mais les personnages en ont peur parce que ce non-dit peut faire souffrir.
C'est sans doute cela la grande force du roman : sa capacité à faire exprimer par les personnages la force d'une tension amoureuse à travers les immenses silences, à travers les errances dans l'île, à travers les parcours sinueux qui semblent se profiler sans fin comme des fils qui prennent au piège ou qui libèrent. Les focalisations internes sont nombreuses dans ce roman pour reprendre l'expression de Genette : les scènes sont vues parfois de manière différentes par les divers personnages. Ces variations de point du vue apportent un charme certain à cette oeuvre tellement forte sur le plan de la révélation du trouble des passions. Plusieurs thèmes gravitent autour de ce trouble évoqué des sens et notamment la jalousie et la tragédie, car la dimension tragique du roman est évidente et se développe de plus pour culminer dans les dernières pages.
Un livre méconnu et qui mérite d'être connu ? Certes ! Un grand roman ? Certes ! Une oeuvre très importante de par sa force suggestive (rien de lourd, rien de donné, tout est léger et en même temps douloureux), de par son évocation élémentaire des forces vives qui traversent le corps et le coeur des hommes et des femmes, de par son approche minimaliste et répétitive qui évoque certaines approches conceptuelles des romans contemporains, de par sa structure à la fois pointilliste, impressionniste et gorgée de flash-back qui sont autant de visions ou plutôt d'approches différentes révélant la complexité de l'être humain et de son désir.
Il fait chaud, on brûle (au sens propre et figuré), on craint comme les personnages, on a peur comme eux de cette retenue quasi obligatoire sur un lieu, cette île, qui force à la découverte de soi-même et de ses pulsions intérieures. Un livre hautement recommandable donc.