Interview d'André Comte-Sponville

Je me permets de livrer ici un extrait d'une interview d'André Comte-Sponville que j'ai entendue ce matin à la radio et qui résume assez bien une certaine vision des choses que j'ai tenté d'exprimer sur ce forum à plusieurs reprises.

Question du journaliste: On est aujourd'hui en pleine crise économique conséquente à la crise financière et il y a une tendance à dire, les entreprises font trop de profit. Alors le profit, c'est moral, amoral, immoral ?

Réponse d'André Comte-Sponville : C'est évidemment amoral, c'est le principe même de l'économie. Pourquoi voudriez-vous qu'une entreprise travaille sinon pour créer de la richesse? On est en train de découvrir la lune quand on découvre que les entreprises veulent faire du profit mais c'est leur fonction, c'est pour ça qu'on a besoin d'entreprises. Arrêtons de reprocher à nos entreprises de faire ce pour quoi elles sont faites.

Alors maintenant les journalistes découvrent dans l'effroi que les banquiers aimaient l'argent. Mais enfin s'ils n'aimaient pas l'argent, ils ne seraient pas banquiers!

Et donc arrêtons de rêver d'une nouvelle humanité, arrêtons de croire que cette crise va mettre fin à l'égoïsme comme certains le disent naïvement, alors que l'égoïsme est aussi vieux que l'humanité.

Il ne s'agit pas de transformer l'humanité, il s'agit de réguler la société. Autrement dit, il s'agit d'être égoïste ensemble et intelligemment plutôt que bêtement et les uns contre les autres. C'est à quoi sert l'économie, c'est à quoi sert la politique.

La morale vient là-dessus ajouter une autre responsabilité, mais s'il n'y a pas d'abord un bon fonctionnement de l'économie et un bon fonctionnement de la politique, ne comptez pas sur la morale pour sauver la société.

Journaliste: A la base de votre raisonnement il y a un constat qui est assez pessimiste, c'est l'égoïsme de l'homme, de chacun d'entre nous.

André Comte-Sponville : Non, c'est plutôt une raison de confiance, parce que d'abord c'est une donnée de fait. Mais sincèrement, si on avait besoin pour progresser que les êtres humains cessent d'être égoïstes, alors là on pourrait être vraiment pessimiste.

Moi ce que je constate c'est que nos sociétés ont fait d'immenses progrès. En dix mille ans, depuis la révolution néolithique, mais encore spécialement ces deux derniers siècles depuis la révolution industrielle, et je dirais encore ces deux ou trois dernières décennies parce qu'en vérité on vit beaucoup mieux en France ou en Belgique aujourd'hui qu'il y a trente ans.

Et donc ce qui est intéressant, c'est que, avec l'humanité qui n'est ni plus ni moins égoïste qu'il y a 200 ans, nous avons fait une société beaucoup moins injuste qu'il y a 200 ans. Jamais en aucun pays en aucune époque les plus pauvres et les plus faibles n'ont été aussi bien protégés qu'en France et en Belgique, par exemple, aujourd'hui. Ce qui est donc une formidable raison de confiance. Cela veut dire qu'on n'a pas besoin, pour progresser, de transformer l'humanité, ce qui est rêve totalitaire et fou.

(RTBF, Entre-Première, 27/03/10)

L'entièreté de l'interview est écoutable sur [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]

André a occasionnellement des idées intéressantes.

Mais bon... c'est un penseur aimable souvent consensuel qui nous dira qu'il faut prendre les choses comme elles sont, hein mes petits gamins !!!

Un penseur parfois brillant, mais à la pensée typiquement bourgeoise...

Bref pas pas trop mon style.

J'y reviendrai, car sa pensée sur le paupérisme (à revoir) n'est pas celle de quelqu'un qui vit dans la banlieue !!!

Je crois au contraire que, actuellement, « Seule la morale pour sauver la société » et qu'elle est sa seule chance de survie pour le futur même si bien entendu l'économie est un ressort indispensable à la croissance de l'humanité.


PS : Merci en tous les cas, John, de nous avoir offert ce moment de pensée qui mérite réellement réflexion.

Jipi a écrit:

Je crois au contraire que, actuellement, « Seule la morale pour sauver la société » et qu'elle est sa seule chance de survie pour le futur même si bien entendu l'économie est un ressort indispensable à la croissance de l'humanité.

Je ne crois pas - si j'ai bien compris - que Compte-Sponville dise le contraire de cela. Il dit que seuls les êtres humains sont moraux ou immoraux et que c'est une responsabilité individuelle de chacun d'agir de façon morale, par opposition aux gens qui disent que c'est "le système" qui est moral ou immoral. Il faut écouter le reste de l'interview, c'est intéressant.

Pour le reste, c'est vrai que Comte-Sponville est influencé par la sprititualité boudhiste dont un des grands principes est l'acceptation du monde tel qu'il est, condition sine qua non pour espérer se changer soi-même et ainsi faire progresser l'humanité.

Libre à chacun d'adhérer ou non à ce type de philosophie. Mon intérêt pour la méditation m'a amené à lire plusieurs ouvrages sur la philosophie orientale ces dernières années et personnellement je suis de plus en plus convaincu qu'il s'agit d'un des chemins - car il y en a d'autres - qui mènent à la sagesse.

Personne ne reproche aux entreprises de faire trop de profits; ce raccourci est ridicule, et décrédibilise les critiques faites au système de rémunération du capital.

On reproche aux entreprises qui font de gros profits de redistribuer ces derniers aux parasites que sont les institutions actionnariales.

Tout le monde - Compte-Sponville le premier - avait bien compris que le journaliste ne parlait pas du profit redistribué aux travailleurs ou aux bonnes oeuvres, Gosayn. La réponse à votre critique aurait été la même, je pense.

john a écrit:

Tout le monde - Compte-Sponville le premier - avait bien compris que le journaliste ne parlait pas du profit redistribué aux travailleurs ou aux bonnes oeuvres, Gosayn. La réponse à votre critique aurait été la même, je pense.

La même que quoi? Je relis, je cite:

"On est en train de découvrir la lune quand on découvre que les entreprises veulent faire du profit mais c'est leur fonction, c'est pour ça qu'on a besoin d'entreprises. Arrêtons de reprocher à nos entreprises de faire ce pour quoi elles sont faites."

Et je persiste
S'il a compris autre chose que ce qu'il écrit, il devrait préciser sa compréhension.


Comme le dit Jipi, nous sommes là dans le consensuel bien sage plus Centre-Gauche que boudhiste. La dernière remarque assimilant le changement rapide, par opposition à sa référance au néolithique, au totalitarisme et à la folie, me semble aussi déborder du cadre philosophique, c'est une pauvre caricature diabolique de l'extrême gauche

Pourtant, si la société est moins injuste, ce n'est pas du fait d'une lente évolution morale, mais des attaques contre le système, et de nombreux autres acquis, scientifiques notamment. Il y a des progrès, je suis d'accord, mais il ne faut pas oublier que, sur le plan social, ils sont le fruit de luttes. L'Humanité a progressé parce qu'une partie de cette dernière s'est rebellée.

John parle de responsabilités individuelles... Je ne suis pas d'accord. Au contraire, les responsabilités sont cloisonnées à l'extrême, afin de "déresponsabiliser" et viabiliser un système.

Quand un PDG fait appel à des DRH pour virer du monde et améliorer son CA, il ne le fait pas par méchanceté, égoisme, amoralité. Il le fait pour survivre à la pression d'un conseil d'administration.
Et pourquoi s'en priverait-on, puisque c'est autorisé?
Faut-il attendre que les banques d'affaire cessent d'elles mêmes de jouer avec des produits aussi lucratifs que destructeurs alors qu'elles en ont parfaitement le droit?
Un tigre viendra vous boulotter pour obtenir sa ration de protéines, la morale n'a rien à faire là. C'est dans sa nature. On peut lui péter les dents, le dégommer avec un fusil à lunette, ou attendre que dix mille ans d'évolutiuon le transforment en ruminant.
Faites votre choix.

Je n'ai rien contre le capitalisme, et me félicite que des entreprises fassent des profits; cela étant, parler de sa "moralisation" est une perte de temps, d'autant que des mesures simples permettraient de mettre un terme au grand n'importe quoi qui est de mise depuis 30 ans.

Je vais tâcher d'être plus clair.

Si le journaliste avait dit à Comte-Sponville "On reproche aux entreprises qui font de gros profits de redistribuer ces derniers aux parasites que sont les institutions actionnariales", je crois que ce dernier aurait répondu qu'il n'y a rien d'étonnant à ce que les entreprises distribuent (une partie) de leurs bénéfices à leurs actionnaires, c'est-à-dire à ceux qui choisissent d'investir leur argent dans un business en espérant que cela va leur rapporter de l'argent.

Des actionnaires désintéressés, cela doit être aussi rare que des banquiers qui n'aiment pas l'argent.

Traiter une pensée de "consensuelle" simplement parce qu'on ne la partage pas, je trouve ça... comment vais-je dire... un peu snob (intellectuellement).

Consensuel ou pas, moi, plus je vieillis, plus je trouve que ce type a raison : l'homme est égoïste, point à la ligne. Vous aussi. Moi aussi. Arrêtons de jouer aux chevaliers blancs. A partir de ce constat, on peut comme le suggère Comte-Sponville essayer de trouver des solutions qui tiennent compte de cet égoïsme, au lieu de rêver à une humanité qui n'a jamais existé et n'existera jamais.