L'ignorance au pouvoir

Depuis  l'émission "Prodiges" sur A2 on nous matraque avec le talent "exceptionnel" d'un jeune danseur, Melvin Lawovi qui aurait ému jusqu'au danseur étoile Patrick Dupont.

Je n'épiloguerais pas sur les motivations réelles de Patrick Dupont mais sur un simple constat : toute personne qui a une expérience, même modeste, de la danse classique voit immédiatement que ce jeune danseur n'est ni plus ni moins talentueux que la moyenne  des danseurs de son âge qui peuplent les conservatoires ( conservatoires où il n'est étrangement pas car il semble préférer une école privée spécialisée dans les carrières professionnelles).

Le public de A2, mais surtout le public de ce genre d'émission, applaudit convaincu de ce qu'on lui affirme car majoritairement incapable de distinguer un danseur honorable d'un danseur de talent ou d'un danseur génial.

Mais après tout me direz-vous, on tente bien de nous vendre la voix d'Adele comme exceptionnelle !

Totalement d'accord avec toi.

On a le même problème en Belgique avec des gens comme Loïc Nottet (danseur de « Danse avec les stars » /chanteur : il  est « celui que tout le monde aime » je lisais ce jour : pas moi en tous cas !!!), Franco Dragone (l'homme millionnaire du spectacle international)... Je pourrais ajouter Stromae, machine à buzz et à marketing.

Comme l'aurait mon défunt ami Guy Ramet, c'est sans âme (pas de vie et de travail intérieurs), c'est purement technique. Rien ne te met en mouvement de corps, d'esprit, de coeur. Cela te semble vain. Pas essentiel. Pas vécu de l'intérieur. « Pas de nécessité intérieure » (Guy Ramet) et cela se voit, s'entend.

C'est beau, mais c'est mauvais ! Et c'est aussi beau parce que l'accent est mis sur les éclairages, les couleurs, sur ce qui est « hors de l'essentiel».

On peut faire un parallèle avec la photographie : que de belles photos sont fondamentalement médiocres...

La plupart des gens appartenant à la sous-culture de masse (la grande majorité en France et en Belgique) sont incapables de distinguer les différences exactement. On ne peut reprocher cette sous-culture (voir l'éducation, la tradition familiale, etc), mais quand celle-ci est entretenue par les médias, il y a de quoi sauter au plafond. Je n'oublierai jamais une pièce de théâtre / un film difficiles montrés à un des mes étudiants « qui n'avait pas la culture » : j'ai osé lui montrer ce qu'il ne voyait pas et il m'a remercié mille fois.

D'accord pour Melvin Lawovi, que je ne connaissais pas mais dont je viens d'aller regarder deux danses pour me faire une idée: il est talentueux mais sans être exceptionnel en effet.
Cela dit, le mérite de l'émission Prodiges qu'il a remportée est de montrer à la télé, et à des heures de grande écoute, des musiciens et danseurs classiques. Si cela peut éveiller l'intérêt de jeunes qui, sans cela, n'écouteraient que du rap ou de l'électro, c'est déjà pas mal.

Concernant Loïc Nottet, dont j'ai suivi plusieurs prestations dans "Danse avec les Stars" (ben quoi, on peut encore se détendre, non?), j'ai trouvé que, par rapport à toutes les autres soi-disant "stars", il apportait justement un supplément d'âme, surtout dans ses danses contemporaines. Je pense que ce garçon a non seulement un réel talent mais qu'il a également ce petit plus qui permet de sortir du lot.

Quant à Stromae, même si je n'en suis pas particulièrement fan, je lui trouve aussi une certaine forme de génie, dans son domaine et dans son genre.
(Note pour Jean-Pierre: non, je ne le compare pas à Bach, je te rassure!)

Un "prodige", c'est encore autre chose, on est bien d'accord.

François a écrit:

Concernant Loïc Nottet, dont j'ai suivi plusieurs prestations dans "Danse avec les Stars" (ben quoi, on peut encore se détendre, non?)

Tu dois passer par « ça »  pour te détendre ?

Vrai talent ? Forme de génie ?

Quand même François ! Ressaisis-toi !!!

Montrer de la danse ou faire écouter de la musique dite classique ( j'aimais bien l'expression "musique savante" plus correcte la musique classique désignant une époque mais devenue politiquement incorrecte) semble un bon principe mais ce n'est pas une raison pour déformer toute hiérarchie et attrister les garçons et filles sincères qui transpirent dans les conservatoires pour danser mieux que ce jeune faux prodige.

Stromae un certain talent mais du génie certes pas ! Il n'a rien inventé et reste d'un grand conformisme.

L'expression que j'ai utilisée "une certaine forme de génie" me parait très mesurée, loin de tout superlatif, et je l'assume donc complètement.

Dans le cas de Stromae, je pensais à un certain génie de la mise en scène, du sens du spectacle (en plus de son grain de voix tout à fait unique.) Ce garçon, tout comme Loïc Nottet, possède également un réel charisme, c'est une qualité qui n'est pas si fréquente et que je n'hésite pas non plus à inclure dans "une certaine forme de génie".

Mais je sens que vous allez me reprendre sur le sens du mot "génie", alors je prends les devants :

Génie, dans cet emploi, connote souvent l'idée du surhumain, d'un destin tragique ou dramatique (v. supra ex. de Cocteau).
Michel Tournier (Le Vent Paraclet, Paris, Gallimard, 1977, pp. 296-297) note, à ce propos : "Jean Cocteau (...) voulait que l'idée de génie fût humanisée, dédramatisée, replacée au niveau de tous les jours. « J'aime beaucoup, écrit-il [dans Le Foyer des artistes 1957], la façon désinvolte avec laquelle Stendhal emploie le mot génie. Il trouve du génie à une femme qui monte en voiture, à une femme qui sait sourire, à un joueur de cartes qui laisse gagner son adversaire. »
Après Stendhal, on s'est fait une tout autre idée du génie. On l'a confisqué à tout un chacun pour l'accumuler sur la tête de quelques privilégiés qui s'appelaient Beethoven, Balzac, Victor Hugo, Wagner.
Ces phares se dressaient au-dessus d'une foule stupide, stérile, antigéniale, le fameux « bourgeois » de Flaubert. Vision malheureuse, navrante et de surcroît mensongère. (...) tout le monde a du génie, lequel n'est pas un énorme et solitaire diamant, mais une poussière scintillante pulvérisée sur tous les hommes. C'est la chose la plus naturelle, la plus quotidienne."

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C'est vrai et indiscutable. De la même façon certains parlent de génie au sujet du dernier Big Mac.

En définitive, et ce n'est pas un scoop,  langage est interactif ( comme on dit de nos jours!)

Il se trouve que mes amis, mes frères en intellect parlent la même langue que moi et cette langue commune est aussi ce qui en fait des frères en intellect. Ensemble nous ne trouvons pas "génial" le premier petit chanteur venu, l'écrivain à le dernière mode ou la starlette ( expression démodée en diable, comme "en diable" l'est aussi)

Cela dit il faut tenir compte du contexte et je n'affirmerais pas être incapable de m'écrier " Ce dessert est génial " à la fin d'un repas entre amis surtout s'il fut convenablement arrosé. Enfin je pense....

Tout cela pour dire que la discussion sur la polysémie d'usage est très formelle. Ici, elle poserait tout au plus la question de la langue de communication en usage commun sur ce forum.  

S'il faut revenir à plus de simplicité tu aimes Stromae plus que Jipi l'apprécie. Quant à moi, pour  parler franc, il existe à peine !

PS: Cela dit l'extrait de dictionnaire est intéressant.

Mais je suis bien d'accord et au risque de me répéter, c'est pour ça que je n'ai pas dit que Stromae était génial mais qu'il possédait une certaine forme de génie et j'ai précisé à quel niveau.

Cet emploi modéré du mot génie ne devrait pas nous empêcher, je pense, de communiquer dans une certaine fraternité intellectuelle, même si celle-ci ne peut être totale.

Cela dit, les frères en intellect, c'est bien (et surtout rassurant) d'en avoir quelques-uns mais ce ne sont pas nécessairement eux qui nous font évoluer et nous ouvrent à de nouveaux horizons.

L'humanité est plurielle et l'altérité, un thème qui t'est cher si je ne m'abuse, cher Jean-Pierre, a le droit d'être aussi intellectuelle, non?

Les "frères en intellect" ne sont en rien rassurant comme tu le dis confondant sans doute avec un vague copinage complaisant. Ce sont des personnes qui parlent la même langue que moi ce qui rend la communication possible et dont la culture et les faculté cognitives sont au moins comparables. Cela n'implique pas qu'ils aient les mêmes opinions sur tout !

Je n'ai aucun souvenir qu'une personne avec laquelle il n'existait pas cette proximité m'ait ouvert de nouveaux horizons ce qui est déjà en soi extrêmement rare.

Quant à la relation que tu fais entre altérité et intellect, mille excuses, mais je ne vois pas du tout ce que tu veux dire!

Définition wikipédia : "L'altérité est un concept philosophique signifiant « le caractère de ce qui est autre » ou la reconnaissance de l’autre dans sa différence, aussi bien culturelle que religieuse."

J'ajoute donc à cette définition : "qu'intellectuelle".

Et je pense que parler le même "langage" (au sens auquel tu utilises ce mot) facilite sûrement la communication mais je ne suis pas du tout sûr que cela stimule l'ouverture et l'évolution intellectuelle.

Cela dit, cette discussion est fort théorique. Il me semble qu'avec un peu de bonne de volonté, on peut parfaitement se comprendre toi et moi. Reconnaissons que nous avons des approches différentes de beaucoup de choses mais de là à dire que nous ne parlons pas le même langage, allons, je crois au contraire qu'on se comprend très bien!

Je crois que nous parlons globalement le même langage.

Je crois aussi qu'en l'absence de langage commun il n'y a ni ouverture ni évolution intellectuelle du moins si on parle de celle qui dépend des autres c'est-à-dire la moins riche et la moins importante car l'évolution la plus profonde est individuelle, c'est celle de la solitude et de la vraie méditation qu'elle permet.

Quant à l'altérité intellectuelle c'est justement l'altérité absolue, l'autre restant définitivement opaque.

On peut passer outre des différences de niveau social, d'histoire, de culture, de religion, de sexe, mais si on n'a aucune communauté intellectuelle, si les esprits ne peuvent se parler, alors c'est le néant et autant discuter avec un poisson rouge tournant dans son bocal !

Je sais que c'est contraire à la belle idée reçue d'une humanité ouverte par-delà les différences, dit-on, sans citer les différences dont on parle, sans exposer d'expériences concrètes, bref en s'appuyant sur des chimères à la mode.

On se demande vraiment pourquoi les hommes passent le plus clair de leur temps à s'entre-tuer !

Je serais moins catégorique que toi sur l'altérité intellectuelle mais par écrit je vais avoir trop de mal à m'expliquer, il faudra un jour qu'on se parle et beaucoup de divergences (en tout cas celles qui sont mineures) s'aplaniront, je pense.

En attendant je vais devoir à nouveau prendre quelques distances vis-à-vis de ce forum car j'entre demain en session d'examens pour trois semaines et cette session sera particulièrement lourde pour moi car j'ai plus d'étudiants cette année.

Ne vous étonnez donc pas de me voir moins souvent d'ici fin janvier.

Il nous reste donc à te souhaiter énergie et satisfaction professionnelle.

Bon courage !

Merci Jean-Pierre !

Dans la prolongation du sujet de ce fil, voilà maintenant Michel Galabru, décédé ce lundi 4 janvier 2016, qui nous est présenté dans les médias comme un "immense comédien" !

Je ne sais pas vous, mais moi je n'ai jamais trouvé que c'était un bon acteur. Le simple fait de le voir à l'affiche d'un film me faisait généralement m'en détourner.

Si Galabru est un "immense" acteur, quel adjectif doit-on utiliser pour qualifier, par exemple, Jean-Pierre Daroussin, ou la plupart des acteurs qui jouent dans BOYHOOD, je me le demande !

Nous sommes d'accord, c'est encore une façon de perdre tout sens d'une indispensable hiérarchie des valeurs.

Voici mon avis : Michel Galabru fut occasionnellement un (très) bon acteur, mais n'est pas un grand acteur.