Patrick Tombelle vient de m’envoyer un texte qui accompagne ses travaux et qui n’était pas disponible le premier jour de l’exposition.
Je me permets de vous révéler ce beau texte, car il intéressera ceux et celles d’entre vous qui se posent des questions sur l’intérêt fondamental de la photographie qui n’a pas pour but de copier le réel...
« Rechercher l’âme derrière les choses, voir derrière les apparences une réalité plus profonde... ».
Quel merveilleux programme pour un photographe !
“Ainsi, il va, il court, il cherche. Que cherche-t-il ? A coup sûr, cet homme, ce solitaire doué
d’une imagination active, toujours voyageant à travers le grand désert d’hommes, a un but
plus élevé que celui d’un pur flâneur, un but plus général, autre que le plaisir fugitif de la
circonstance.” Ainsi parlait Baudelaire du peintre Constantin Guys.
On pourrait, sans trop forcer l’imagination, entrevoir dans cette description l’image
d’un personnage plus actuel encore que le Peintre de la vie moderne auquel l’auteur fait
référence ici : j’ai nommé le photographe. Pourtant, Baudelaire, comme d’autres de ses
contemporains, craignait la photographie. La voyant s’avancer toute auréolée de son
habileté technique à “peindre” parfaitement le monde tel qu’il nous apparaît, elle lui
semblait destinée à réduire l’art du futur à sa simple fonction de représentation du réel.
Pour Baudelaire ainsi que pour la plupart des peintres, savoir représenter le monde,
la nature, les choses, ne pouvait se limiter à des considérations purement physiques,
ne touchant que l’apparence extérieure. Ce que cherchaient les artistes, c’était de trouver,
de voir et de faire voir derrière cette couche fine des apparences, une réalité plus
profonde, plus essentielle. Ne dit-on pas du visage qu’il est le miroir de l’âme ? Derrière ce
qu’aperçoivent nos yeux, il y aurait donc autre chose suffisamment digne d’intérêt pour
motiver les artistes pendant des siècles et même des millénaires à continuer la “recherche
de cette beauté mystérieuse qui se trouve dans la vie involontairement” (Baudelaire).
Bien que je reconnaisse l’admirable prouesse scientifique que représentent l’invention et
le développement de la photographie, je ne me suis jamais senti suffisamment transporté
- au point d’en parler pendant des soirées entières - par l’incroyable capacité technique
qu’elle a de représenter si facilement le réel. Au contraire, quand je compare cette facilité
à ce qu’a dû signifier pour tant de peintres une vie entièrement consacrée à l’étude et à la
pratique d’un art aussi contraignant que celui de la peinture et cela sans même avoir la
garantie d’atteindre le but plus profond de l’âme, j’ai presque honte de prétendre au
qualificatif commun d’artiste. Alors, ne serait-ce que pour dépasser ce sentiment et quand
même m’inscrire dans le monde où je suis né, j’ai très tôt dans ma vie senti une sorte de
nécessité primordiale, si pas d’atteindre, en tous cas de continuer à rechercher cette âme
qui se cache derrière les choses, qu’elles soient visages ou, comme dans cette exposition,
paysages, l’âme, ni la beauté d’ailleurs, ne semblant pas avoir encore livré tous leurs secrets.
Les moyens ont changé mais les mêmes vraies questions demeurent.
Patrick Tombelle,
mars 2014