J’ai eu l’opportunité de visiter, hier soir avec l’Union Professionnelle des Métiers de la Communication dont je suis membre, les coulisses du cinéma Sauvenière à Liège. C’était une visite assez intéressante qui m’a permis de voir l’envers du décor mais, surtout, de mieux appréhender la façon de voir le cinéma de l’asbl Les Grignoux qui gère les lieux. Je ne suis pas très amateur de cinéma en tant que lieu car je trouve que ce n’est pas le meilleur endroit pour apprécier le cinéma en tant qu’art. Les salles obscures sont trop souvent parasitées par les spectateurs qui jugent l’endroit propice à manger, à téléphoner ou à s’embrasser. Mais je dois dire que le cinéma Sauvenière retient ma préférence, ne fut-ce que parce que les chips et autres snackeries y sont prohibées dans les salles contrairement à la coutume dans les multiplexes.
Liège est ville de cinémas ! Depuis les années trente il y en eut kyrielle au centre ville ; Le Concorde sur le boulevard de la Sauvenière, Le Palace près du Carré, Le Churchill dans le Carré, L’Opéra dans la galerie du même nom… pour ceux dont je peux me rappeler. Mais, depuis une vingtaine d’années, l’ère est aux multiplexes, ces blocs de salles multiples qui appartiennent à des monstres internationaux qui ont fait de la projection cinématographique une industrie alors que c’était un artisanat. Le groupe Kinepolis s’est alors installé à Rocourt, sur les hauteurs de Liège, hors du centre ville, sur les ruines du vieux stade populaire du Football Club Liégeois. Rapidement, à la fin des années ’90, les cinémas de Liège ont commencé à disparaître. C’est d’abord le Concorde qui a disparu, en 1998, avant que le Churchill ne mette la clé sous le paillasson. Heureusement, Les Grignoux ont pu racheter les lieux et ainsi permettre au Churchill, magnifique bâtiment art déco, de survivre. La tendance est alors à la construction de salles en dehors du centre-ville. Le projet de la Médiacité voit le jour à l’aube du 21è siècle. L’idée d’un promoteur privé est d’installer un complexe commercial avec six ou huit salles de cinéma, dans le quartier du Longdoz, de l’autre côté de la Meuse, à un bon quart d’heure du centre ville. Le groupe UGC se porte candidat à l’ouverture de ces salles… Pour avoir un pied au centre, Kinepolis rachète alors le Palace et l’Opéra.
Effrayées par ce constat de désertion des cinémas du centre ville, les autorités liégeoises, soutenues par la Communauté française et le FEDER, lance un appel à projet pour la construction de nouvelles salles au centre-ville. L’idée est de faire un cinéma au centre de la ville, tourné vers la ville… Pour Les Grignoux, il est temps de grandir et de se lancer dans la bataille liégeoise des cinémas afin de ne pas laisser la place libre aux trusts internationaux que sont Kinepolis et UGC. Le projet rentré par Les Grignoux prévoit le maintien d’une activité cinématographique, et donc culturelle, dans l’hyper-centre mais il s’agit aussi de limiter le nombre de multiplexes autour de Liège car cela risque d’amener, à brève échéance, à la fermeture du Churchill et du Parc, les deux salles des Grignoux.
On a donc en 2000, d’un côté les multiplexes de grands groupes comme Kinepolis qui proposent, au centre et en périphérie, du cinéma commercial et de l’autre les Grignoux qui, à travers le Parc (un peu en dehors du centre) et le Churchill (en plein cœur de Liège), défendent le cinéma d’auteurs en V.O. L’idée des Grignoux est de trouver un compromis entre ces deux visions du cinéma… Ce compromis sied aux autorités liégeoises qui marquent donc leur aval pour la construction de quatre nouvelles salles, au cœur de la ville, à côté des anciens bains de La Sauvenière. En mars 2006, le chantier débute, il s’achèvera plus de deux ans plus tard avec l’inauguration, en mai 2008, du Cinéma Sauvenière. Un chantier qui, par ailleurs, a permis la découverte de vestiges archéologiques de la période ottonienne, au 10è siècle, qui ont pris place dans le musée du Grand Curtius
Pax cinematographica
Diable que les autorités liégeoises ont eu raison de valider ce projet ! En effet, aujourd’hui, Kinepolis a fermé toutes les salles de l’Opéra et s’apprête, pour pouvoir racheter un complexe à Louvain-la-Neuve, à fermer celles du Palace. Fini le Kinepolis au centre de liège ! A la Médiacité, le projet de salles de cinémas ne verra probablement jamais le jour… Bref, il ne reste au cœur de Liège que le Churchill et le Sauvenière, deux bastions défendus par Les Grignoux ! La cartographie cinématographique liégeoise actuelle est donc celle-ci : le cinéma commercial en périphérie, le cinéma d’auteurs au centre-ville… Mais attention, cinéma d’auteurs peut aussi rimer avec qualité, il suffit de jeter un œil à la programmation du Sauvenière pour s’en assurer.
Le consensus a donc bien débouché sur une pax cinematographica à Liège. Multiplexe commercial et cinémas tournés vers le moins commercial semble avoir trouvé leur place et leur public. A Rocourt, on peut voir en famille les dernières grosses productions made in Hollywood ou les comédies françaises les plus populaires, au centre ville, l’amateur de cinéma plus pointu, plus fouillé et en version originale, peut se laisser aller à vivre son cinéma d’auteurs… Chacun est libre de son choix ! Moi qui n’aime pas les salles de cinéma où le public mange, où les téléphones sonnent et ou les ados se roulent des pelles, j’opte sans hésiter pour le centre-ville d’autant plus volontiers que je suis un ardent défenseur de la vie commerciale, sociale et culturelle au centre des villes et non pas des complexes décentralisés.
Reste un phénomène que je ne m’explique pas, c’est celui du prix ! Pourquoi un ticket d’entrée au Kinepolis avoisine, ou dépasse-t-il parfois selon la longueur du film, les 10,00€ alors que le prix d’entrée maximum au Sauvenière ou au Churchill est de 6,00€ ? Et encore, muni de l’abonnement il descend même à 4,50€. Encore une bonne raison de privilégier mon cinéma du centre-ville !
J’avais fait, voici 20 ans, un stage d’insertion professionnelle aux Grignoux lorsque je menais vaillamment mes études de communication mais à l’époque cette association se contentait de la gestion d’un cinéma de quartier, dans la périphérie liégeoise, à travers lequel elle promouvait la diffusion d’un vrai cinéma d’auteurs. Aujourd’hui, Les Grignoux ont bien grandi mais leur idéal est toujours le même. Depuis la première projection au cinéma Le Parc au printemps 1982 – c’était Neige de Juliet Berto – Les Grignoux ont toujours voulu faire découvrir le cinéma d'auteurs à un maximum de Liégeois. La promotion et la diffusion d’œuvres de Kusturica, d'Almodovar, des frères Dardenne, de Moretti, de Kiarostami, de Kitano, ... s’accompagne d’une réflexion permanente sur les outils, la pédagogie, les stratégies pour la diffusion des films auprès d'un public élargi, et notamment auprès des écoles. Le cinéma d'art et d'essai, selon la vision des Grignoux, ne devrait jamais circuler en circuit fermé ni être réservé à une élite, une intelligentsia crispée sur ses privilèges et préoccupée par ses seules démangeaisons cinéphiliques. Aujourd'hui, pour un très grand nombre de Liégeois, le Parc, le Churchill et le Sauvenière sont devenus une des manières de vivre et de se divertir à Liège, un lieu de réflexion, d'émotion, de rencontres, de rêves et d'évasion accessibles à tous… un contrepoids à l’écrasante présence d’un cinéma commercial diffusé dans des multiplexes sans âme.
Oui, à Liège, ces deux types de cinémas ont trouvé leur place !
NB : je vous prie de m'excuser car j'ai été un peu long mais cette visite était réellement intéressante et je voulais revenir sur ce projet de cinéma qui fonctionne bien à Liège